50 nuances de Gaz

Les consultants qui accompagnent Gazprom et ses dirigeants dans leurs négociations avec la Commission Européenne leur ont conseillé d’étudier attentivement le roman « Cinquante nuances de Grey » d’E L James. D’après l’Interfax, c’est par cette remarque qu’Alexander Medvedev, le Vice-Président du Comité Exécutif de la société, a terminé sa dernière conférence de presse.

Considérons cette annonce comme une bonne nouvelle : au moins la suite de la récente communication des griefs à Gazprom pour l’abus de la position dominante pourrait devenir intéressante.

Margrethe VESTAGER, la Commissaire européenne à la Concurrence, a annoncé que les investigations préliminaires sur cette affaire ont commencé en 2011. Le dossier a été essentiellement basé sur les plaintes informelles des concurrents de Gazprom, renforcées par les faits découverts lors de l’enquête.

La situation avec Gazprom risque d’être bien plus délicate qu’avec Google, car elle représente une organisation stratégique sous le contrôle de l’Etat russe. Le Ministère de l’Energie russe de son côté a déclaré qu’un accord écrit sur les consultations communes sur la position de Gazprom sur le marché européen a été signe en novembre 2013 par le Premier Ministre russe Dmitri MEDVEDEV et l’ancien Président de la Commission Européenne José Emmanuel BARROSO. Ces consultations ont été interrompues unilatéralement par la Commission Européenne.

Par ailleurs, Sergei LAVROV, le Ministre des affaires étrangères de la Russie, en faisant les commentaires suite à la publication de la communication des griefs, a remarqué que les contrats actuels (dont certains datant de 1999) correspondent bien à la législation européenne qui était en vigueur au moment de leur signature. D’après lui, la Commission essaye de propager rétrospectivement la nouvelle législation sur les anciens contrats.

Dès l’annonce de la communication des griefs de la Commission Européenne, les analystes de plusieurs banques russes ont déjà estimé que cette affaire coûtera à Gazprom entre $2mlrds. et $3,8mlrds. Quoi qu’il en soit nous allons voir bien plus que cinquante nuances de cette affaire.

Plusieurs évènements assez indépendants, mais toujours liés à Gazprom, ont précédé cette attaque de la Commission Européenne.

Tout d’abord, en 2014 Gazprom a réduit ses dépenses dédiées aux lobbyistes auprès de la Commission. En 2013 la société GPlus, comptée parmi les lobbyistes les plus puissants de Bruxelles, a déclaré que la part de ses revenus en provenance directe de Gazprom se situe dans la fourchette $300 000 – $350 000. En 2014 cette même part se situait entre $150 000 et $300 000. Collaboration commerciale des deux sociétés avait commencé en 2007.

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que les coûts des services des lobbyistes européens restent incomparables par rapport à ceux de leurs homologues américains. Jusqu’à mi-2014 Gazprom a également travaillé avec l’agence américaine Ketchum. Leur collaboration a duré sept ans et a permis à Ketchum d’encaisser plus de $32 mlns. de revenus (plus de $4,5 mlns par an). Au cours des six premiers mois du 2014, cette société a reçu environ $2,46mlns pour la défense des intérêts de Gazprom. Leur collaboration a été arrêtée en septembre 2014.

Les deux sociétés, et Ketchum et GPlus, appartiennent au groupe Omnicom.

Un autre évènement du mois d’avril était l’annonce par Gazprom du fait qu’il ne va pas prolonger son contrat de transit de gaz avec l’Ukraine qui se termine en 2019. Cet arrêt de contrat représente une perte économique très lourde pour l’Ukraine et est très mal vu par ses partenaires européens. Gazprom a insisté sur le fait que dans le cas des pressions de la part de l’Union Européenne il est prêt de faire une « pause » dans l’acheminement de gaz vers l’Europe, lors de laquelle il n’assurera que le minimum contractuel de livraisons. Par ailleurs la société est en train de transformer progressivement sa stratégie européenne en une stratégie eurasiatique.

En même temps, la Russie a pris des mesures concrètes pour l’accélération de la création de gazoduc à travers la Turquie et la Grèce qui permettra d’acheminer le gaz vers l’Europe sans passer par l’Ukraine. La Grèce pourrait recevoir jusqu’à 5milrds d’euros d’avance sur la création de sa branche de gazoduc. L’intérêt de la Grèce est indéniable et va bien au-delà de l’avance monétaire. La construction du gazoduc permettra une création massive des emplois et attirera des investisseurs intéressés par la proximité des sources peu chères de l’énergie.

Le fait que la nouvelle commission européenne ait attaqué presque simultanément les deux géants de deux parties opposées du globe, Google et Gazprom, est assez emblématique. Toutefois, le déroulement et les conséquences de ces affaires peuvent être très différents.

La position très dominante de Google en Europe peut être déjouée. Aux Etats Unis ses parts du marché sont moins importantes qu’en Europe grâce aux efforts de Yahoo et autres Bings. Qwant, le moteur de recherche européen commence à se renforcer et semble être globalement assez efficace (observation personnelle suite à quelques semaines de tests).

Comme d’habitude, la situation est bien plus complexe sur le marché du gaz. D’une part, les contrats d’approvisionnement de gaz sont conclus sur les années, voir sur les décennies, il est difficile de les rompre sans les pénalités. D’autre part, les énergies alternatives ne permettent toujours pas (et ne le permettront pas au cours des prochaines années) de se substituer à une énergie aussi accessible et peu chère que le gaz. Et puis, il est impossible de prédire la sévérité des prochains hivers européens. Toutefois, restons dans les nuances plus optimistes que celles du gris…

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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