Prédictions pour 2017 ou comment naviguer dans le brouillard

« Si nous ne sommes pas en plein vol étant complètement aveugles, nous naviguons au moins un brouillard très épais ». C’est ainsi que commence ses prédictions économiques pour 2017 Graham Gudgin, économiste issu de Cambridge.

Le 30 novembre dernier eu lieu la 6ème édition de la conférence « Clash des Titans » à Londres, organisée par l’Economic Research Council. Le principe de cette conférence est de rassembler des économistes reconnus qui, en s’appuyant sur leurs travaux et l’analyse des événements de l’année précédente, donnent leurs prédictions sur l’économie britannique pour l’année à venir. Comme chaque année, l’évènement a rassemblé trois représentants des trois grandes universités britanniques, références dans le domaine économique – Cambridge, Oxford et London School of Economics (LSE). Après une année 2016 si pleine de turbulences ce « Clash des Titans » était particulièrement le bienvenu…

Allant droit au but, nous présentons ci-dessous les prédictions de croissance moyenne de différents indices par chaque économiste :

La couleur verte représente une tendance à la hausse par rapport à l’année précédente, la couleur rouge en représente la tendance baissière.

Ces prédictions et manque de consensus enrichissent fortement le débat, mais il y a bien quelque chose sur quoi les économistes sont d’accord. Le Royaume-Uni est dans un brouillard complet en ce qui concerne son avenir. Le vote en faveur du « Brexit » n’a pas seulement surpris les perdants, mais il était également assez inattendu pour les gagnants. Quelles que soient les rumeurs concernant le gouvernement n’ayant pas de plan pour la sortie de l’Union Européenne, le problème est surtout que personne ne semble rien savoir. Un grand point d’interrogation se dessine sur la politique monétaire à venir de la Banque d’Angleterre (BoE), et les investisseurs apeurés ont notablement ralenti leurs investissements de capital fixe. Les bruits courent que beaucoup de banques internationales se préparent à déplacer leurs salariés vers l’Europe ou l’Asie. Par exemple, Morgan Stanley a déjà commencé à fermer des programmes de recrutement à Londres (même si les raisons en restent peu claires). Dans ce contexte de manque de certitude, tout le monde se tourne vers les économistes pour trouver des solutions, et eux… se regardent entre eux.

Cambridge – Dr. Graham Gudgin

Chercheur associé au Centre for Business Research de Cambridge, Graham Gudgin a fait preuve d’une approche très humble. S’appuyant sur un modèle néo-Keynésien, « CBR », il essaye de prendre en compte tout changement qui a auparavant été source d’étonnement pour les économistes traditionnels. Très ouvertement, il explique qu’il fait des hypothèses sur ce qui se passera dans le reste du monde pour faire fonctionner son modèle, et que les économistes sont dans une atmosphère de « devinettes » et « incertitude ». En gros, si ça ne marche pas, ce n’est pas de notre faute !

Depuis 2007, le revenu national a continuellement augmenté de 2.5% par an jusqu’à récemment. Comme tout pays, le Royaume-Uni est dans une période d’épargne intense, alors que le gouvernement encourage sans cesse l’augmentation de prêts immobiliers pour accélérer l’économie. Selon Gudgin, cela fait 5 ans que le crédit à la consommation en Grande-Bretagne est au plus bas depuis la deuxième guerre mondiale, un événement incroyable.

Alors que Londres est toujours reconnue comme la capitale financière européenne, les investissements d’entreprises ont baissé de 33% cette année. Pourtant, très notablement, cela n’a pas affecté la consommation des ménages, qui augmente constamment. C’est ainsi que ses prédictions restent peu extrêmes, tâtonnant vers le haut ou vers le bas, et les indices se compensent.

Au final, explique-t-il, tout dépend de la politique monétaire que la BoE compte entreprendre, ce qui est peu clair. Si les prêts immobiliers et la construction augmentent, comme le prédisent beaucoup d’économistes, il est vrai que tout n’ira peut-être pas si mal…

LSE – Vicky Pryce

Ancienne de Royal Bank of Scotland et de KPMG et conseillère du Centre for Economics and Business Research, Vicky Pryce a eu une approche bien plus centrée sur les événements politiques. « La politique domine désormais l’économie » dit-elle, soutenant aussi que les experts semblent s’être grandement trompés encore en 2016. La confiance de la population fluctue avec la politique, ce qui affecte leur consommation et autres décisions économiques. Mais sous la pression d’un nombre de prédictions bien trop variées, il est impossible pour qui que ce soit de prendre des décisions de moyen terme.

Tout n’allait pas si mal en 2016, l’économie a accéléré pendant le deuxième trimestre, les secteurs de la vente et du service ont aussi fait preuve de croissance au 3ème trimestre (peu étonnant avec la chute du livre après Brexit). Et pourtant, la BoE semble préparer tout pour le pire. Récemment, le président de la BoE a accordé aux banques la liberté de ne pas tenir £150 milliards en capital, quelque chose qui avait été mis en place après la crise de 2008. Ceci va faire croitre la dette bancaire, mais malheureusement ce geste n’est qu’une vision à court-terme. Comme illustration de ce fait, le jour de cette conférence, RBS venait d’échouer les « stress tests » de la BoE. Pryce souligne que les banques ne sont pas dans le meilleur des états, et que l’action de la BoE ne contribue pas à la stabilité financière en Angleterre.

Enfin, l’atmosphère politique doit essentiellement être prise en compte en pensant au futur de l’économie mondiale. L’élection de Trump fut signe d’un potentiel retour au protectionnisme dans les échanges mondiaux, quelque chose que les économistes en général soutiennent peu. Les exports constituent 56% du PIB du Royaume-Uni et beaucoup espéraient avoir accès à plus d’échanges mondiaux après Brexit. Peut-être serait-ce trop demander ? Vicky Pryce envisage donc un futur plutôt pessimiste pour le pays, avec peu de croissance générale. Pessimiste ou réaliste ?

Oxford – Paul Ormerod

Notable pour son caractère très vivace, Paul Ormerod est également connu pour son scepticisme face aux économistes traditionnels. On peut le voir en lisant le titre de ses livres comme «Why Most Things Fail». Il souligne que, pendant les 50 dernières années, la moyenne de tous les économistes américains n’a jamais prédit une croissance négative en regardant 9 mois en avance. Pourtant, un tel événement est arrivé pendant 26 trimestres ! Un fait qui a bien fait rire la salle, tout en étant assez déconcertant.

Prenant une approche moins traditionnelle, Ormerod, avec l’un de ses doctorants, a créé un algorithme calculant le changement du contenu émotionnel sur Twitter, en suivant l’utilisation de « smileys » sur 20 000 comptes à Londres. Et en effet, mis à part le 24 juin et le 8 novembre 2016 (on se demande pourquoi), la plupart du contenu a eu des émotions positives. La population de Londres serait donc optimiste pour l’avenir. On se demande alors ce qu’il en est du reste de l’Angleterre, qui a souvent des opinions différentes de Londres comme nous avons pu le voir pendant Brexit.

Même si la vie semble rose pour Londres, ce n’est pas quelque chose qui s’applique pour le reste de l’Europe. Le fait qu’Ormerod soit un grand eurosceptique impacte le choix des points qu’il juge importants pour le futur de la plus grande union économique du monde. La croissance moyenne de l’Union Européenne est de 1.9%, mais la croissance moyenne des plus grandes économies mondiales serait de 10%. L’UE a fait preuve de peu de flexibilité face aux disruptions majeures, telles que la crise de 2008, dû à sa règlementation complexe. Chaque pays de l’UE a une situation économique unique, et cette union ne semble pas avoir été entièrement bénéfique depuis quelques années. C’est surtout le cas pour l’Italie, qui est le seul pays dont la croissance a régressé de 10% en 10 ans. Cela représente une différence de 20% avec les Etats-Unis ! Et selon Ormerod, cela est majoritairement dû à l’Union Européenne. Ce dernier point reste assez vague, car la situation en Italie ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis son entrée dans l’UE.

C’est ainsi que les prédictions de Paul Ormerod concernant l’économie Britannique sont presque les plus optimistes, mais son opinion sur le reste du monde semble différer fortement de la représentante de LSE.

C’est bien beau tous ces chiffres, et alors ?

Et alors, le fait reste que 2017 nous réserve bien des surprises. Alors que l’année dernière, la plupart des investisseurs évaluaient la technologie comme le plus grand chamboulement pour 2016, cette année ils sont plutôt concernés par la volatilité politique. Nos trois « grands ponts » d’économie furent d’accord sur le fait que l’Europe et l’Angleterre devront surement faire face à une crise bancaire très proche. Bien des articles sortent quotidiennement sur les banques qui n’ont plus de fonds, et les prêts complexes faits à partir de dettes. Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? Il est vrai que la mémoire humaine est bien courte, et que les agences financières semblent déjà avoir oublié tous les problèmes de la crise financière dont nous n’avons pas encore entièrement guéri. Et même si l’Angleterre se glisse hors de l’UE, le risque même de perdre sa position en tant que capitale financière mondiale ne sera pas sans effet sur son économie à court terme.

On observe donc que les économistes ne sont toujours pas d’accord unanime, quelque chose qui peut aussi être assez positif pour nous, terriens normaux. La différence d’avis à travers les économistes pourrait, espérons-le, pousser les grandes agences financières et les gouvernements à reconsidérer leurs stratégies actuelles, qui semblent peu marcher depuis quelques années. Et qui donc de ces grandes têtes aura la meilleure prédiction ? Cambridge avait eu les meilleures prédictions pour 2016, nous verrons ce qu’il en sera l’année prochaine…

En vous souhaitant de bonnes fêtes de fin d’année, et en espérant avoir une année de sérénité assurée par nos analyses économiques.

Source d’image : Wikimedia

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Caroline DORVEAUX

Après avoir fait ses études supérieures dans une prestigieuse université britannique, Caroline DORVEAUX se concentre sur les analyses de tendances économiques et technologiques en...

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