Comment valoriser la culture d’une entreprise ?

En quittant Goldman Sachs en mars 2012, Greg Smith, l’ancien directeur exécutif de cette banque, a publié sa lettre de démission dans New-York Times. D’après lui, « La culture de l’entreprise était toujours une composante vitale du succès de Goldman Sachs. Elle évoluait autour de l’esprit de l’équipe, de l’intégrité, de l’esprit de l’humilité et du service des intérêts des clients. Cette culture était la recette secrète du succès de la banque et de la confiance qui lui a été accordée par ses clients pendant 143 ans. » D’après Greg Smith, au moment où il a décidé de quitter Goldman Sachs, cette culture qui l’a fait aimer son travail dans cette banque, n’existait quasiment plus.

En effet, des discussions concernant les différents aspects de culture d’entreprise ont une large couverture dans les médias. Néanmoins, elles ne répondent pas aux questions légitimement soulevées par la lettre de démission de Greg Smith : En quoi la culture d’une entreprise consiste-elle ? Comment pouvons-nous la mesurer ? Jouerait-elle un rôle dans le succès de l’entreprise ? Comment les différentes structures de gouvernance affectent-elles la création et la préservation d’une culture qui assure le succès de l’entreprise ?

Toutes ces questions ont été abordées dans l’étude « The Value of Corporate Culture » menée par Luigi Guiso (Einaudi Institute for Economics and Finance), Paola Sapienza (Northwestern University) et Luigi Zingales (University of Chicago).

D’après eux, la culture d’une entreprise est un ensemble des normes et des valeurs largement partagées et fortement suivies à travers l’organisation. Cette culture représente une référence pertinente, car au quotidien les employés font souvent face aux choix qui ne peuvent pas être correctement réglementés ex ante.

Transformation de certains principes de fonctionnement en valeurs de l’entreprise apporte plusieurs avantages. A titre d’exemple prenons une entreprise qui souhaite baser sa culture sur un service client d’excellence :

  • En basant sa communication sur ses valeurs, l’entreprise attire et retient le personnel qui partage ces valeurs, ou, au moins, qui est capable de s’adapter et de fonctionner conformément à ces valeurs.
  • En transformant certains principes en valeurs (par exemple, le service client de haute qualité), l’entreprise indique clairement à ses employés qu’elle n’acceptera pas de compromis sur ce point. Son engagement est de ne pas se lancer dans des calculs économiques, lorsqu’elle doit faire des choix pour satisfaire le client.
  • Encourager la transformation d’un souhait « avoir un service client d’excellence », en valeur d’entreprise, mène à la création d’une norme sociale au sein de cette entreprise. Tout employé n’ayant pas respecté cette norme ne pourra pas forcément être puni juridiquement. Néanmoins, il va se heurter à la désapprobation de ses collègues, ce qui peut devenir un fardeau lourd à porter.

Pour être suivies, les normes sociales doivent impérativement être partagées par la majorité des personnes d’une communauté. Plus particulièrement, elles doivent être partagées par le top management. C’est une situation où le leadership doit s’exercer à travers l’exemple.

Ces faits sont clairement démontrés par l’étude citée : malgré leur ubiquité, les valeurs proclamées (et pas suivies) semblent être hors de propos pour la profitabilité d’une entreprise. Environ 85% des sites web institutionnels des entreprises du S&P 500 contiennent une, parfois deux sections consacrées à la culture de l’entreprise et à ses valeurs. Toutefois, la fréquence d’utilisation des mots « innovation », « intégrité » et « respect », n’a aucune corrélation avec les performances de cette entreprise.

Cependant, lorsque les employés considèrent que le top management incarne ces valeurs, lorsque les dirigeants sont perçus comme éthiques et dignes de confiance, les performances de l’entreprise augmentent considérablement. Plus précisément, « des niveaux élevés d’intégrité perçue sont corrélés positivement avec les bons résultats des entreprises en termes de productivité, de rentabilité, de meilleures relations industrielles, et le niveau élevé d’attractivité pour les postulants cherchant à rejoindre l’entreprise. »

Nous avons fait un exercice simple en analysant le cours de l’action de Goldman Sachs sur la période février – octobre 2012 (le graphe de cet article). Effectivement, dans les mois qui ont suivi la publication de la lettre de démission de Greg Smith l’action de GS (en bleu) a connu des moments difficiles. Ces moments n’ont pas été dus à la situation globale du marché américain, car l’indice S&P 500 (en rouge) faisait un mouvement plutôt latéral, sans chutes majeures. Nous ne prétendons pas à détenir la vérité absolue, mais la lettre publiée dans New York Times et le cours de l’action de GS peuvent tout à fait être liés.

Lors du classement annuel des entreprises les plus appréciées par ses salariées, le Great Place to Work® Institute (GPTWI), mesure à quel point les valeurs d’une entreprise sont perçues par les employés. Il s’agit de la perception réelle et non pas de la manière avec laquelle l’entreprise communique à propos de ces valeurs. C’est l’un des principaux critères de ce classement. L’analyse du Great place to Work démontre que lorsqu’une société commence à y figurer, son cours de bourse ne reçoit pas un coup de pouce immédiat. Toutefois, à moyen-long terme, elles génèrent des retours bien plus importants par rapport aux attentes.

La structure de la gouvernance d’une entreprise impacte également sa capacité à maintenir certaines valeurs comme intégrité. Cette capacité est moindre pour les entreprises cotées en bourse. Les approches traditionnelles de gouvernance ne semblent pas avoir beaucoup d’impact sur ce phénomène.

En effet, la nécessité de respecter ses engagements dans un environnement en perpétuelle évolution restreint la flexibilité du management. Dans une entreprise entrepreneuriale les principales parties prenantes sont ses clients et ses employés. Ce n’est plus le cas pour une société cotée en bourse. Parmi les parties prenantes à prendre en compte elle commence à avoir ses actionnaires, les détenteurs de ses obligations, et même, si l’entreprise est assez significative, le grand public. Par ailleurs, c’est surtout dans les sociétés cotées que nous nous retrouvons face au problème « principal-agent », où le top management n’est pas motivé uniquement par la maximisation de la valeur de l’entreprise pour ses actionnaires.

Les seules exceptions du phénomène sont les entreprises où les parts des sociétés de capital-risque (venture capital) sont importantes. Cela peut être dû à l’horizon plus « long terme » de ce type d’investisseurs, ainsi qu’à leur plus grand professionnalisme dans la définition du design organisationnel des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Revenons au cas de Greg Smith. Dans son livre qu’il a publié quelques mois après avoir quitté Goldman Sachs, Smith accuse la transformation de la structure de la banque qui a entrainé la dégradation de sa culture d’entreprise. En effet Goldman Sachs était fondée en 1869 sous forme d’un partenariat. En 1999 cette banque a fait son introduction en bourse.

Il a probablement raison, car ces évènements liés à Goldman Sachs donnent une légère impression de « déjà vu ». En effet, la chute progressive d’une autre grande banque d’investissement, Salomon Brothers, décrite par Michael Lewis dans son livre « Liar’s poker », est attribuée aux mêmes raisons. Fondée en 1910 en tant que partenariat, cette banque a perdu une grande partie de sa culture mythique suite à son introduction en bourse en 1978, quelques vingt années avant Goldman Sachs…

Source d’image : Yahoo finance

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Edouard DE BERLEAU

Édouard DE BERLEAU est un expert du domaine de la finance et tous les sujets connexes. Il a travaillé dans des grandes institutions et...

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