Je t’aime, moi non plus : ces autres visages des fusions – acquisitions

Les fusions-acquisitions sont bien reparties en Europe. Certains parlent de retour de la croissance, de la création de la valeur, etc. Pourtant, les statistiques des dernières années démontrent que plus de la moitié des fusacs échouent et que la majorité écrasante ne crée aucune valeur.

Les analyses des fusions-acquisitions se font habituellement avec l’angle de vue stratégique, financier et comptable. Or, dans notre monde qui est devenu extrêmement complexe, d’autres paramètres jouent un rôle de plus en plus important. Il s’agit, notamment des aspects « Personnel economics » et systèmes d’informations.

Le premier de ces paramètres est présenté dans les travaux de recherche effectués par Valérie SMEETS (Universidad Carlos III de Madrid), Kathryn IERULLI (University of Chicago) et Michael GIBBS (Clinical Professor of Economics & Faculty Director, Executive MBA Program – University of Chicago Booth School of Business).

En effet, le succès de chaque acquisition dépend de la capacité des employés des deux acteurs de la fusion-acquisition à travailler ensemble. Sans surprises, en ce qui concerne la rotation du personnel, les employés de la société qui initie l’acquisition, s’en sortent mieux que les employés de la société acquise. Ces derniers quittent massivement la nouvelle structure. Par ailleurs, plus l’acquéreur est grand, plus ses employés dominent les employés de la société acquise, et vivent mieux l’acquisition.  En outre, plus le chevauchement entre les activités des deux sociétés est important, moins les gens quittent l’entreprise suite à la fusion.

Cette étude démontre l’inconsistance du postulat que les employés de deux sociétés peuvent créer des efficacités suite à la fusion, en remplaçant les uns des autres. Toutefois, plus les employés de deux sociétés sont similaires (de point de vu capital humain spécifique à la culture des sociétés ou à leur niche industrielle), plus l’intégration post-acquisition est facile et efficace.

Lors de sa conférence « MERGER OF EQUALS & UNEQUALS: WHY MERGERS OFTEN FAIL » qui a eu lieu à Paris le 25 mars dernier, Prof. Michael GIBBS a souligné que suite à une fusion il n’est jamais aisé de réconcilier les structures formelles des entreprises, comme titres et hiérarchies, évaluations et rémunérations, outils et méthodes, etc. Toutefois, il est bien plus difficile de réconcilier des différentes structures informelles, comme culture de l’entreprise, capital humain spécifique, réseaux sociaux, accords implicites…

C’est l’une des raisons pour laquelle une fusion-acquisition est rarement suivie par une réelle intégration. La recherche citée ci-dessus démontre que suite à une fusac le nombre d’embauches s’envole, car il est plus facile d’intégrer un nouvel employé, que ceux qui ont vécu « l’avant » et « l’après » de l’opération. Par ailleurs, certains groupes d’employés se mélangent mieux que les autres : dans la société cible, il s’agit des experts reconnus ou des employés issus de la R&D, les managers et les commerciaux.

Suite à ces travaux Michael GIBBS conseille clairement d’éviter, tant que possible, les fusions-acquisition. A leur place il suggère d’utiliser d’autres leviers de croissance, comme

  • achat des listings des clients, des actifs, des technologies ;
  • création de joint-ventures ;
  • fusions permettant aux entités organisationnelles de fonctionner séparément, comme l’acquisition d’une société dans un pays étranger où vous n’êtes pas présent.

Il est assez évident que les fusions entre les égaux ne fonctionnent pas, à part quelques exceptions comme les PME dans l’industrie des services : fusion entre ODDO & PINATTON dans les services financiers, entre STERIA & SOPRA dans le conseil & service informatique, et à condition que la fusion soit extrêmement bien gérée (tend d’éviter le favoritisme, intègre certains critères d’évaluation du succès d’intégration, etc.).

Cette conclusion concernant l’échec prévisible de fusion entre les égaux fait réfléchir à l’actualité. La mise en vente de SFR par Vivendi a suscité l’intérêt de deux prétendants : Numéricâble & Bouygues Telecom. Les trois acteurs peuvent être considérés comme « égaux », à quelques différences près.

Numéricâble évoque une logique industrielle qui, suite à sa fusion avec SFR, permettra d’élargir son offre et de créer de la valeur. Ceci peut être vrai, toutefois, les intégrations post-acquisitions, la préservation des emplois et du capital humain associé s’opèrent mieux lorsque les deux sociétés ont un chevauchement important entre leurs activités. Par ailleurs, certains signes font naitre le doute que l’intégration post-fusion sera bien gérée.

Bouygues Telecom met en avant les similitudes des métiers des deux sociétés et sa capacité de gérer l’intégration post-acquisition. Ceci peut également être vrai, mais le risque principal réside dans la différence des cultures des deux entreprises.

Le scénario idéal aurait été l’apparition d’un acteur étranger n’ayant pas d’activité significative en France. Dans ce cas l’acquisition, résultant en simple expansion géographique, n’aurait pas engendré de redondances hiérarchiques ou contradiction des offres commerciales. J’ai brièvement mentionné cette option à un acteur étranger ayant la capacité d’agir dans la présente situation. Au retour j’ai entendu des remarques concernant les syndicats et le statut des employés français proche de celui des fonctionnaires. La France a des efforts à faire dans l’amélioration de l’image qu’elle envoie vers le monde extérieur…

La seule variante de fusions-acquisitions qui fonctionne quasi – sans fautes, est l’absorption par un acteur important des sociétés de petite taille. C’est précisément le cas des géants de l’internet (Google, Facebook,…). Professeur GIBBS a cité l’exemple de CISCO, qui a une politique des acquisitions bien définie :

  • Cisco fait un « HR screening » avant de démarrer l’acquisition ;
  • Il annonce clairement que l’affaire en cours est une acquisition et non pas une fusion des égaux ; et qu’il va tout changer et que plus vous êtes flexible et positif, le mieux tout va se passer.
  • A la fin de tout cela Cisco effectue l’intégration le plus vite possible.

Une autre composante qui joue un rôle de plus en plus critique dans le succès ou faillite des fusacs est le système d’information de deux sociétés. En prenant l’exemple du corps humain, on peut dire que pour réussir une opération fusion-acquisition, deux sociétés ont besoin de fusionner ou de rendre complémentaires leurs squelette et leurs vaisseaux.

Le squelette c’est l’infrastructure informatique, les systèmes et les réseaux. Imaginez que l’une des sociétés ait son cœur du métier qui fonctionne grâce aux machines informatiques construites il y a 20-30 ans et que l’autre n’a que des serveurs et des infrastructures informatiques de dernière génération, et que les deux ne sont certainement pas compatibles. Et voilà que nous nous trouvons devant l’impossibilité d’intégration des deux entreprises malgré toutes les bonnes volontés du monde. On peut comparer cette situation à une greffe d’organes qui sera rejetée par le corps.

Les serveurs et les réseaux informatiques seuls ne suffisent pas pour que l’employé lambda puisse effectuer ses tâches quotidiennes. Pour cela nous avons une couche logicielle, qui joue le rôle des vaisseaux qui véhiculent l’information à travers l’entreprise, permettent de déclencher des campagnes marketing, orienter la production des usines et gérer les relations clients. Tâcher d’imaginer, combien de langages de programmations, de méthodologies d’implémentation, de structures de logiciels, de versions des progiciels et d’autres architectures applicatives se sont succédées au cours de 20-30 dernières années, ainsi que leurs interdépendances générées. Personnellement, nous ne voudrons même pas faire cet effort d’imagination trop coûteux en puissance de neurones.

Cette complexité des systèmes d’information où la complexité des structures matérielles est amplifiée par la complexité des couches logicielles fait que les fusions-acquisitions coûtent de plus en plus cher et échouent de plus en plus souvent. Car aujourd’hui aucun financier faisant des projections du cash-flow et des synergies permettant de générer de la valeur ne prend en compte cette complexité critique et les coûts exorbitants des systèmes d’information et de leur intégration.

Prenons l’exemple d’une société qui a la volonté et les moyens d’intégrer les entités qu’elle achète, du groupe AIRBUS. Ne regardant qu’une petite partie de son activité, la gestion du cycle de vie de ses produits (Product Lifecycle Management), nous nous apercevons qu’actuellement AIRBUS se base sur quatre principaux progiciels de PLM, qui gèrent le cœur de son activité industrielle. Par ailleurs, nous découvrons sans surprises que ces PLM ne sont pas compatibles. Partant de ces constats, l’AIRBUS a attribué les financements aux étudiants du 3ème cycle qui font leurs Thèses de Doctorat sur la problématique de l’intégration des différents PLM et de la gestion industrielle qui s’en suit. Que peut-on dire des autres sociétés qui ne s’engagent pas dans ce type de démarche ? De quelle création de la valeur peut-on parler ?

Ces questions restent ouvertes. Bien que la croissance externe puisse être importante pour une société, sa stratégie, ses impacts et ses coûts doivent être analysés plus d’une fois.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Edouard DE BERLEAU

Édouard DE BERLEAU est un expert du domaine de la finance et tous les sujets connexes. Il a travaillé dans des grandes institutions et...

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