Les guerres, le gaz et le vent glacial de la Great Recession

Le monde s’enfonce dans une récession de plus en plus profonde, de plus en plus longue. Malgré les efforts des gouvernements l’économie ne repart pas. Les tas de liquidités imprimés par les banques centrales se sont reversés dans les marchés financiers sans passer par l’économie réelle. Et maintenant le mot « géopolitique » commence à sonner comme l’extrait d’une chanson d’un groupe punk des années 1980…

Le citoyen ordinaire de tout pays occidental se préoccupe très peu de ce qui se passe dans la partie Est de l’Europe. Or il devrait. Il ne s’agit pas de se laisser envahir par le romantisme révolutionnaire qui a atteint les médias français. Il suffit de prendre un bout de papier (un fichier Excel, autre…) et de réfléchir à la question qui gagne et qui perd dans ce jeu d’échecs concernant la domination des uns et des autres sur la scène mondiale.

Les jeux politiques actuels autour de l’Ukraine et la Russie vont heurter tout le monde, et alléger encore nos portefeuilles. Car tout est question de ressources énergétiques.

Les allemands, les français et les autres européens voudraient bien que la situation s’apaise, que les tanks russes restent en Russie et qu’il n’y ait plus de victimes ni de manifestations dans les villes Ukrainiennes. Sauf que personne n’ose mettre la pression sur qui que ce soit. Parce que le prix du conflit actuel ne sera pas évalué en nombre d’avions ou de sous-marins impliqués. Il se mesurera en millions de British Termal Units. Ce terme légèrement barbare parle bien aux pays importateurs de gaz russe.

Même si parfois on peut s’étonner de la naïveté et de manque de vue à long terme de certains acteurs de la politique européenne, ce n’est pas le cas ici. Lorsque quelqu’un ne veut pas faire face aux sanctions potentielles russes qui peuvent entrainer l’augmentation du prix de gaz, il peut transférer le problème ailleurs. Et, pour une fois, pourquoi pas vers les américains ?

Les État-Unis est un grand pays. Son économie occupe toujours une position dominante dans le monde. Et il tache de le démontrer régulièrement. En annonçant, par exemple, que l’Europe n’a rien à craindre par rapport au gaz russe, car les États-Unis peuvent vendre le gaz de schiste américain aux européens et à toutes les autres nations se sentant sous la menace de l’augmentation des prix du gaz russe. mBtu par mBtu.

Bien entendu, l’extraction de plus en plus massive de gaz de schiste incitait déjà les producteurs américains à regarder les marchés internationaux. La situation actuelle accélère les évènements. Les observateurs considèrent qu’au bout du compte tout le monde sera gagnant : les américains qui vendront leur gaz et les européens qui seront moins dépendant du gaz russe. Sauf que dans le monde d’aujourd’hui rien n’est aussi simple…

Regardons les prix du gaz. Contrairement au pétrole, côté en bourse, le prix du gaz est défini d’une manière assez « locale ». La raison principale est la complexité de sa transportation.

Le gaz peut être acheminé par les gazoducs. Ce n’est pas cher, mais peu fiable.

Le gaz peut être liquéfié et, donc, transporté plus facilement. Toutefois les usines de liquéfactions coûtent cher et ont besoin de quelques années pour être construites.

C’est pourquoi les prix varient à travers le monde et fonction du lieu de production et du type d’acheminement. Le prix européen du gaz se situe actuellement autour de $11,30 par mBtu. Le prix du gaz au Japon est d’environs $16,63 par mBtu. Les américains payent $4,60 par mBtu.

La différence est sensible, n’est-ce pas ?

Regardons les États-Unis qui ont commencé la production massive du gaz depuis seulement quelques années, et qui veulent le vendre partout dans le monde. Aucune usine de liquéfaction n’existe actuellement aux États-Unis. Seulement trois viennent d’être approuvées et seront opérationnelles l’année prochaine.

Bien entendu, en suivant les lois du marché, les producteurs de gaz liquéfié vont vouloir le vendre au plus offrant. « Le plus offrant » seront les consommateurs des pays où le gaz est considérablement plus cher qu’aux Etats Unis. Par conséquent, le prix du gaz pour le marché intérieur américain va augmenter. Peut-être pas jusqu’à $16 ou $20 par mBtu, mais facilement jusqu’au $8, ce qui est le double du prix actuel.

Maintenant imaginez l’impact d’une augmentation du prix de gaz sur l’économie américaine qui peine à redémarrer : le prix de l’électricité produit par les centrales à gaz vont augmenter, tout comme le chauffage des maisons. Cela va répercuter sur l’augmentation du prix sur toute la production des produits et des services. Et si les prochains hivers seront aussi sévères que celui de cette année ?

Par ailleurs, le rêve américain de devenir le plus grand exportateur de gaz au monde est difficile à réaliser pour d’autres raisons. De plus en plus de pays ayant des réserves importantes se positionnent sur ce marché : Australie, Qatar…

Et puis, il y a la consommation intérieure américaine qui augmente d’une année à l’autre. Donc, au bout du compte l’hypothèse disant que le gaz américain va remplacer le gaz russe pour les européens est loin de se réaliser.

Source d’image : Wikimedia

Partager sur :

Edouard DE BERLEAU

Édouard DE BERLEAU est un expert du domaine de la finance et tous les sujets connexes. Il a travaillé dans des grandes institutions et...

Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Les commentaires sont fermés.