Pourquoi le manager opérationnel a toujours raison, même quand il se trompe

A l’ère de « tout internet » l’expression de nos opinions se limite souvent au « Like » d’un réseau social. Toutefois, ce mode de communication permet d’engager de nombreuses discussions autour des publications partagées. Certains de ces échanges peuvent être assez intéressants, au point d’atterrir dans un article comme celui-ci.

Il y a quelques jours, l’un de mes contacts (appelons-le LJ) a partagé un article de Roger Martin sur un réseau social en commentant « Voici une lecture rafraichissante pour les designers de stratégies ! » Effectivement, l’article propose un angle de vue différent de ceux habituellement enseignés pendant les cours classiques de Competitve Strategy suivi lors d’un MBA. La différence entre la théorie et la pratique est que l’approche décrite par Roger Martin est déjà utilisée par des professionnels expérimentés.

Après avoir parcouru cet article certains d’entre vous peuvent éprouver une sorte d’inconfort. Ce sentiment peut, à son tour se traduire par le commentaire suivant : « L’auteur est un personnage assez sympathique, je l’avais rencontré à plusieurs reprises… Mais, jusqu’à il y a peu de temps (et pendant des années) il était le membre du Conseil d’Administration de BlackBerry. Qu’est-t-il arrivé à cette société ? Où était la pensée stratégique de cet homme durant toutes ces années ? Nous ne pouvons que difficilement croire des leçons de stratégie venant de la part d’une personne dans cette situation…”

En me remerciant très poliment pour mon commentaire, LJ répondait: « Je suis entièrement d’accord avec le fait que certaines personnes influentes tiennent des propos intellectuellement très concevables, mais qui sur le terrain font un travail peu respectable. Pourquoi prendre la peine même d’en parler? Globalement et rapidement, je crois que l’histoire de BlackBerry est plus à propos de la surestimation de ses managers opérationnels que de l’échec de son conseil d’administration. Mon autre point est que l’influence de la personne dépend de l’endroit où elle est assise dans la salle du conseil d’administration! Ce point est bien sûr lié à la composition et le comportement de ce conseil. »

Je ne peux pas être d’accord avec la thèse que la situation catastrophique de BlackBerry (ou de toute autre société) soit due aux erreurs des managers opérationnels.

Cette certitude m’a été induite par des cas concrets de retournements d’entreprises, par mes discussions avec Harvey R. MILLER qui a restructuré notamment General Motors, ou avec Jon MOULTON qui a investi dans des centaines des sociétés en situations de détresse. La première règle de tout redressement réussis d’une entreprise: on se débarrasse du top management qui a conduit l’entreprise vers un état pitoyable, et l’on s’appuie sur les managers opérationnels qui portent tout le savoir de l’entreprise.

Regardons le sport : lorsqu’une équipe sportive enchaine une défaite après l’autre, est-ce que c’est la faute des joueurs ? Pas tellement. Car les joueurs sont passés par des étapes de sélection assez stricte, ils ont suivi des entrainements intensifs. En cas d’échecs à répétition ce sont les entraineurs qui partent, car ils n’ont pas su conduire leur équipe vers la victoire.

Référons-nous aux exemples plus lointains et bien plus conséquents : aux débuts de la Première Guerre Mondiale l’État Majeur des alliés ne brillait absolument pas par ses prouesses stratégiques. Les armées de l’Entente perdaient une bataille après l’autre, en subissant des pertes humaines et  matérielles jamais vues auparavant. Il est impensable que les soldats et les officiers opérationnels fussent mauvais. Les axes de leurs déplacements, leur disposition pendant les batailles, la typologie de l’armement, tout était défini par l’État Majeur qui jouait un rôle décisif dans le déroulement de la guerre. Il fallait attendre 1917 et une intervention politique directe de Georges Clemenceau sur Woodrow Wilson & Lloyd George pour que l’on change l’État Majeur et que l’on arrive à la victoire de 1918.

Cela induit une simple conclusion concernant tout manager opérationnel qui fait quelques efforts dans son travail. Dans la majeure partie des cas, lorsqu’il se trompe, cela est dû soit au fait que les ordres/lignes directrices qu’on lui a transmises représentent une interprétation incorrecte de la stratégie de l’entreprise, soit au fait que cette stratégie soit erronée. Les deux raisons proviennent du top management qui définit la stratégie et du conseil d’administration qui la supervise.

Par ailleurs, il ne faut jamais oublier le Principe de Peter : « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence ». Plus nous montons dans la hiérarchie d’une entreprise, plus nous rencontrons des cas d’incompétence. Ainsi, par une simple déduction nous obtenons le fait que parmi les managers opérationnels il y a beaucoup plus de personnes compétentes que dans des couches de direction situées plus haut…

En ce qui concerne la réflexion sur le fait que « l’influence de la personne dépend de l’endroit où elle est assise dans la salle du conseil d’administration !», elle ne me semble pas être applicable au cas de Roger Martin. Cet homme porte des kilomètres de titres très impressionnants. Il est, par exemple, le numéro 6 dans la liste des The 50 Most Influential Management Gurus de HBR et le numéro 15 de World’s Top 30 Management Professionals. Avec tous ses titres il pouvait tout à fait avoir le poids significatif au Conseil d’Administration de BlackBerry, quelle que soit la composition de ce Conseil. Car, il est bien connu que les titres alignés l’un après l’autre, impressionnent et donnent de l’autorité. La preuve ? – Regardez comment LJ essaye de le défendre 😉 …

Image : www.blackberry.com

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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