Sanctions : « To Do » pour éviter les infractions et ce qui n’a pas été anticipé

Toutes les discussions autour des sanctions à l’égard de la Russie et celles instaurées par la Russie, ne seront pas complètes tant que l’on ne saura pas comment y réagir dans des situations bien concrètes afin d’éviter les pénalités.

D’une manière générale, pour être certain de ne pas recevoir une amende de quelques milliards de dollars/euros d’ici cinq ou six ans, il vaut mieux s’adresser à un expert dans la matière. Cependant vous pouvez faire une première analyse de la conformité de votre situation.

DIY (à faire soi-même)

Tout d’abord, pour ne pas violer les sanctions économiques et les embargos, l’entreprise doit mettre en place des contrôles ad hoc, notamment sur ses processus d’achat et de vente. Ces contrôles doivent répondre à trois questions.

  1. Quoi ? : Vérifier si les biens /services sur lesquels porte la transaction sont soumis à des restrictions (ces restrictions peuvent être liées à la personne du cocontractant ou à la nature du bien ou des services (militaire, à double usage: civil et militaire, usage final : nucléaire, militaire, répression interne). Dans certains cas, la transaction peut être possible à condition d’obtenir une autorisation des autorités compétentes.
  2. Avec qui ? : S’assurer qu’aucun des partenaires d’affaires de la transaction n’est sur la liste noire : cette vérification doit être effectuée pour les fournisseurs, clients, intermédiaires, transporteurs, banque(s) impliquée(s) dans les transferts de fonds…
  3. Où ? : Vérifier la localisation des opérations envisagées.

Sous quelle règlementation suis-je ?

Une attention particulière doit être portée à la détermination de la réglementation applicable. Il va sans dire qu’une entreprise française doit se conformer aux règles édictées par l’UE. Toutefois, il convient de vérifier si d’autres législations ne sont pas applicables et d’en déterminer les peines encourues. En premier lieu, il s’agit, bien entendu, de la législation américaine.

En effet, les critères de rattachement peuvent être multiples : si le bien contient des composants américains, la réglementation américaine peut s’appliquer, même si la transaction n’a pas lieu sur ce territoire.

La nationalité des intervenants joue aussi un rôle : un citoyen américain (ou titulaire d’une carte verte) est soumis aux règles américaines, même lorsqu’il réside hors des États-Unis et travaille pour une société étrangère. De même, un citoyen européen doit respecter les réglementations UE, où qu’il soit situé. Par exemple : un français directeur d’une société chinoise ne peut conclure un contrat avec une société russe figurant sur la liste noire de l’UE.

Un programme de conformité approprié

Les programmes de conformité (compliance) sont des outils permettant aux sociétés de faire le nécessaire pour éviter des infractions aux normes juridiques qui s’appliquent à eux . Dans les grandes entreprises ce type de programmes fait partie de leur fonctionnement quotidien. Pour les PME-PMI ce type de contrôles devrait être effectué d’une manière régulière, dont la fréquence devrait être définie par l’entreprise (à chaque signature d’un nouveau contrat, tous les N mois/semaines).

D’après les spécialistes du domaine il n’y a pas encore eu de cas de sanctions qui auraient frappé les entreprises françaises impliquées dans les activités touchant à la Russie. Ce type de mesure prend généralement un certain temps.

Les conséquences non anticipées dans l’Ouest

Toutefois, les impacts économiques indirects sur les entreprises sont de plus en plus nombreux en Europe aussi bien qu’en Russie. Ces sanctions, ayant pour but une pression géopolitique contraignant la Russie à changer son positionnement par rapport à l’Ukraine, non seulement ne semblent pas atteindre leur but, mais sont en train de provoquer des dégâts collatéraux considérables. Compte tenu des siècles d’histoire commune et de complexité géopolitique extrême qui règne dans toute l’Europe de l’Est, il aurait fallu, peut-être, un peu plus d’intelligence émotionnelle, de sagesse intellectuelle et de recul lors de la prise de ce type de mesures dans cette zone.

Aujourd’hui le plus surprenant dans les conséquences des sanctions mutuelles UE-Russie, est le fait que le pays le plus touché économiquement semble ne pas être l’Allemagne (bien qu’au bord d’une récession), qui a de très forts liens économiques directs avec la Russie, mais la Grande-Bretagne. Ce fait ne dépend pas tellement du nombre de milliardaires russes installés à Londres, ni du nombre d’entreprises russes cotées sur la London Stock Exchange. En tout cas, pas encore (la VTB a annoncé récemment que la banque va arrêter sa cotation sur LSE et s’introduire sur l’une des places asiatiques).

D’après les études des économistes britanniques, le problème de leur économie réside dans le fait qu’historiquement les entreprises américaines installaient les sièges de leurs filiales européennes au Royaume Uni, proximités linguistique et culturelle obligent. Les sanctions contre la Russie ont un impact considérable sur le chiffre d’affaires de Microsoft, Apple et autres Oracle. Cela entraine une rude chute des impôts sur les entreprises récoltés par le trésor public britannique. Si l’on ajoute que, dans une entreprise américaine, la majeure partie des employés a une part de rémunération indexée sur les revenus de l’entreprise, on voit que la rémunération globale des salariés des entreprises américaines en Europe va baisser. Ainsi, leur pouvoir d’achat va baisser en contribuant au ralentissement économique global.

L’ironie du sort (ou le résultat d’une analyse stratégique bien développée) est que ces problèmes européens des entreprises américaines ne vont pas tellement impacter les Etats-Unis. Il est bien connu que les multinationales américaines, dans le souci d’optimisation fiscale, ne rapatrient pas leurs revenus étrangers vers les Etats-Unis. Tout au plus, l’année prochaine ces entreprises distribueront des dividendes un peu moins élevés…

En ce qui concerne l’économie européenne proche de l’asphyxie lorsque l’on parle de la croissance, à part les quelques 1,5 milliards d’euros de pénalités que les contribuables français devront débourser pour payer la non-livraison des Mistrals, et les hurlements d’une bonne partie du mittelstand allemand qui a perdu un gros marché russe, il y avait l’Europe de l’Est qui jusqu’à présent affichait un taux de croissance décent. Or, d’après les industriels russes, les pays baltes perdrons en 2014 entre 0,2% et 0,3% de leur PIB. Au cours des dernières années l’industrie hongroise affichait un taux de croissance supérieur à 10%, ce qui ne sera plus le cas à partir de cette année.

Le tremblement économique dans l’Est

La situation est également très complexe du côté russe. Même si le pays fait partie des BRICS, la Russie n’est pas tout à fait un pays émergent. Il subit le même ralentissement économique que l’Europe depuis 2012. Comme pour confirmer ce cas, la Banque Centrale Russe a fait comprendre qu’elle prévoyait un taux de croissance proche de 0% pour l’économie du pays en 2015. Parmi les domaines d’activité en plein ralentissement il y a ceux qui ne se sont pas trouvés dans le périmètre des sanctions. Par exemple, le secteur publicitaire russe qui avait l’habitude à quelque 10% de croissance annuelle au cours de dernières années, n’en affichera que 5% en 2014.

L’impact le plus considérable des sanctions sera ressenti dans le domaine de la modernisation de l’industrie pétrolière, ainsi que dans le secteur des machines-outils où entre 60% et 80% des composants ont été importés. Parmi d’autres exemples de l’impact des sanctions est l’arrêt de la collaboration de la maison d’édition « Prosveshenie », qui publie la majorité des supports éducatifs russes, et Microsoft. Les deux organisations travaillaient sur la conception des tablettes destinées à tous les écoliers russes. Cette collaboration d’envergure a été arrêtée suite à l’inscription du Président de Conseil d’administration de Prosveshenie, Arkadï ROTTENBERG, sur la « liste noire » des sanctions américaines. Nous pouvons présumer que maintenant cette maison d’édition va se tourner vers un Lenovo ou autres Samsung. Par ailleurs, il est connu que les exceptions ont été faites pour certaines personnalités inscrites sur cette liste.

De son côté, le monde financier commence à s’inquiéter du fait que la situation économique russe actuelle pourrait mener vers la même suite des évènements qu’en 1998.

Le dilemme de la chèvre

En instaurant les sanctions de parts et d’autres de ce conflit géopolitique, les décideurs des deux côtés n’ont nullement pris en compte le fait que le monde dans lequel nous vivons est extrêmement complexe et interdépendant. Nous ne sommes plus dans l’ère préindustrielle où l’approche de « la hache contre la hache » pouvait fonctionner. Au cours des prochains mois, nous verrons de plus en plus de conséquences inattendues des sanctions réciproques, dont certaines à l’opposé des intentions initiales des pouvoirs politiques.

Toutefois, la situation actuelle des deux côtés correspond beaucoup à l’adage « Назло врагам козу продам, чтоб дети молока не пили» – « Afin de nuire aux ennemis je vais vendre ma chèvre, pour que mes enfants ne boivent plus de lait ».

Partager sur :

Irina SIDOROVA

Irina SIDOROVA, Avocat au barreau de Paris, est une spécialiste de droit international économique. Une grande partie de son temps est dédiée aux affaires...

Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Les commentaires sont fermés.