Vie locale : La question des expériences

Une grande partie des villes de la banlieue parisienne ont le même déséquilibre : elles ont un vieux centre-ville et des commerces qui s’animent surtout le soir et le samedi, et une périphérie avec des immeubles de bureaux qui vivent uniquement pendant les heures ouvrables de la semaine. Le problème est que les commerçants du centre-ville aimeraient bien lisser l’activité sur toute la semaine et attirer des clients potentiels qui travaillent dans les bureaux.

Il y a quelques temps nous avons eu une discussion intéressante avec le Président de l’association des commerçants de l’une de ces villes. A cette période il était très fier de sa dernière réussite : « Nous avons mis la pression sur le maire, il va nous allouer une navette qui va faire tous les jeudis entre midi et deux les allers-retours entre le quartier des bureaux et le centre-ville », – » Bravo pour cette initiative, mais elle ne fonctionnera pas tout à fait comme vous l’espérez« , était notre remarque. « Et pourquoi? Il y aurait un repas à gagner pour deux et autres choses de ce type« . – « Cela ne suffira pas« . Le président de l’association a eu l’air déçu. L’idée d’avoir convaincu le maire de laisser à leur disposition la navette municipale une fois par semaine devait flatter les commerçants du centre-ville en les rassurant de leur force et de leur importance. Bien entendu, les commerces du centre-ville représentent l’âme de cette ville, mais cela non plus, ne suffit pas comme argument pour faire venir des clients.

En approfondissant la discussion avec le Président de l’association nous avons évoqué le fait que dans le portefeuille de nos compétences se trouve la restructuration et le développement des entreprises, les situations dans lesquelles il faut souvent changer de business modèle ou d’en inventer un nouveau. Cela ne semblait pas convaincre le président dans son histoire avec la navette. Bien costaud, le type de personnes qui physiquement donnent l’impression d’avoir les pieds sur terre, il nous regardait avec de l’étonnement et un brin de méfiance. Nous avons essayé de développer : un déjeuner à deux au centre-ville ne suffit plus pour attirer des clients. Dans le quartier des affaires il y a quelques fastfoods, petits restos et les restaurants des hôtels qui sont corrects. Les employés des bureaux ne vont pas venir au centre-ville pour manger, même pour BIEN manger.

Mettez-vous à leur place (vous y êtes peut être) : leurs journées sont souvent bien remplies par tout un tourbillon de réunions, qui bougent régulièrement, donc, il peut être difficile de dégager presque deux heures pour une promenade gastronomique au centre-ville (il faut bien une demi-heure pour y faire un aller-retour plus une petite heure pour y manger). Par ailleurs, les employés de ces (essentiellement) grandes entreprises ne veulent pas forcément rester tard au bureau pour terminer les tâches qui n’ont pas été faites entre midi et deux : ils veulent rentrer chez eux pour voir leurs enfants et / ou leurs conjoints, pour sortir avec leurs ami(e)s, pour faire leurs courses, etc.

Et puis, il y en a beaucoup qui ne savent pas de quoi leur avenir sera fait, ceux qui ont du mal à finir les mois, pour qui la cantine de l’entreprise représente une bonne alternative.

Les populations concentrées dans les quartiers des affaires ne vont pas forcément perdre leur temps pour aller flâner entre les boutiques des petites rues du centre-ville ou pour manger dans ses restaurants. Cependant il y a une chose qu’ils vont vouloir acheter : une expérience. Oui, la recherche des expériences est un phénomène universel du monde moderne.

Récemment nous avons discuté avec une femme d’affaires canadienne qui a annoncé que, dans sa famille, ils ont décidé de ne plus offrir de cadeaux à leurs proches, mais de leurs offrir des expériences. Dans les pays développés une personne a généralement tout dont elle peut avoir besoin. Il est difficile de surprendre, de toucher profondément, de faire plaisir avec un objet physique. Par contre avec les expériences vous avez des longues années de cadeaux inattendus devant vous. Pour le 18ème anniversaire de leur fils cette femme canadienne et son conjoint lui ont offert une journée avec les éleveurs de faucons – le jeune homme était enchanté…

Regardez vos enfants : en grandissant ils ne parlent pas tellement des Tamagotchi et d’autres X-Box qu’ils (elles) ont eu pour les fêtes de Noël d’il y a des années. Pourtant vous avez dû accomplir des missions impossibles pour les avoir juste avant les fêtes. Vos enfant se souviennent plutôt des balades que vous avez fait dans un lieu exotique, des visites des parcs ou des musées, des discussions toutes simples. Car l’être humain ne se souvient pas toujours ce que vous lui avait offert (ou pas), mais comment vous l’avez fait sentir à cet instant donné.

Depuis quelques années beaucoup d’anciennes et respectables sociétés dans le domaine des services éprouvent des difficultés financières. Ceci n’est pas dû au fait que les services qu’elles proposent sont devenus d’une qualité moindre, mais au fait que les expériences générées par leurs services ne correspondent plus à ce qu’attendent leurs clients potentiels.

Prenez l’exemple du groupe FLO et des annonces récentes de sa chaîne Hippopotamus concernant son incapacité d’honorer les remboursements des prêts dus à plusieurs banques. Ce fait indique que Hippopotamus offre une expérience que le public ne veut plus: nous mangeons moins de viande, nous sortons différemment en famille… Cette différence entre les expériences proposées et attendues me fait penser à un ami qui, à la fin des années 1980s, sortait avec une top-manageuse de chez FLO. Ce fait le propulsait dans la catégorie des types très chics et branchés de la capitale. Est-ce que cela est imaginable aujourd’hui? Pas vraiment…

Dans le nouveau paradigme économique, où les technologies ont changé notre façon de recevoir l’information, de percevoir le monde et nous-même dans ce monde, où la croissance va stagner encore pendant des années, les nouveaux modèles économiques sont à inventer. Leur but sera d’offrir aux clients de nouvelles expériences.

Souhaitons une bonne saison de Noël à nos commerçants de centre-ville et espérons qu’ils réussiront à réinventer leurs métiers. Dans le cas contraire ils courent juste le risque de disparaître…

Source d’image : Wikipedia

P.S. D’après les premières statistiques du début des soldes de Noël aux États-Unis (« Black Friday »), la saison risque d’être décevante : les dépenses ont chuté de 11% par rapport à l’année dernière et ceci malgré les réductions des prix vertigineuses et les horaires d’ouverture étendus des magasins (dès 7 heures du matin).

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Jesse LEBLANC

Jesse LEBLANC est un entrepreneur, consultant et coach des entreprises, des entrepreneurs et des investisseurs de tout âge et de toute situation économique. Il...

Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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