Ces autres typologies de travail : changement de paradigme

Notre société entre dans une ère qui correspond à un nouveau paradigme. L’une des caractéristiques de ce paradigme est le changement de cette situation séculaire de monopole sur les connaissances et le niveau de vie associé. Au cours des dernières décennies, le paysage est devenu nettement moins binaire.

Prenons l’exemple d’un développeur informatique. Lorsqu’il travaille dans une entreprise, son travail est effectivement un travail de production de code, d’applications informatiques ou de sites internet.

Supposons qu’un jour ce même développeur décide de lancer sa propre activité, ce qui arrive de plus en plus souvent. Il crée un site internet pour y commercialiser ses produits et services de développement. Dans cette situation, son travail de production s’enrichit des actions de gouvernance. Car très probablement ce développeur sera amené à régir ses échanges avec les web designers, à connaître les exigences de la sécurité informatique, ou à gérer cette sécurité dans ses relations avec ses fournisseurs, à avoir quelques notions de la législation européenne en matière de protection de données, à connaître des éléments de marketing sur internet afin de promouvoir son activité, à savoir définir son positionnement sur le marché par rapport aux concurrents, à faire un peu de gestion financière etc…

Donc, nous arrivons à une situation dans laquelle le travail de gouvernance, qui était, pendant des siècles, la prérogative exclusive des élites, devient le quotidien d’un nombre croissant de personnes dans toutes les couches de la société. De plus, dans le monde d’aujourd’hui, compte tenu de l’accessibilité des informations concernant tous les sujets imaginables, et au vu de l’abondance de ces informations, y compris dans les domaines relatifs à la gouvernance, les élites perdent massivement toute l’exclusivité de la connaissance et la maîtrise de ce type de travail.

Rappelons-nous que les attributs du travail de gouvernance pendant des siècles étaient le statut social élevé et les rémunérations considérables de personnes qui l’ont exercé. En perdant l’exclusivité de la gouvernance, les élites perdent les attributs de leur statut. Nous observons une sorte d’érosion des élites.

Ce développement de la nécessité de connaître les bases de la gouvernance ne se limite pas aux personnes qui se lancent dans une activité individuelle, ou qui font partie d’une petite entreprise. Il a également touché tous ceux qui travaillent dans les grandes entreprises, où ses conséquences sont différentes.

Les entreprises exigent de plus en plus d’autonomie dans la gestion du travail quotidien et dans la prise de décisions de la part de tous leurs collaborateurs. Cette tendance peut être bénéfique pour l’entreprise, car elle peut stimuler l’innovation et la créativité. Toutefois, elle peut également être à l’origine de nombreuses tensions au travail, de burn-out et de dépressions, car souvent la maturité de chaque collaborateur, ses envies et ses capacités ne sont pas prises en compte lors de cette délégation.

Ce qui est paradoxal et dommageable pour les entreprises, c’est que ce transfert d’autonomie n’est pas réellement accompagné, et mène à une réduction drastique du nombre de managers opérationnels, au lieu de supprimer d’autres couches de management. Les managers opérationnels sont un avantage compétitif pour chaque entreprise, car ils connaissent le métier et sont, généralement, capables de prendre en charge la gestion directe des collaborateurs qui produisent. Ils servent, en quelque sorte, d’éducateurs pour les nouveaux arrivants dans l’entreprise, en transmettant, en plus de savoir-faire spécifiques, le savoir-vivre et les codes non-écrits de l’entreprise. Avec la disparition du management opérationnel, l’entreprise crée une rupture dans la transmission de sa culture – un aspect très important pour son développement et sa survie.

Ainsi, pour assurer la continuité au sein de l’entreprise face à la suppression du management opérationnel, les collaborateurs qui sont en bas de la pyramide hiérarchique de l’entreprise se retrouvent, d’une part, à assumer une partie des responsabilités qui étaient portées par leurs managers. D’autre part, les managers des niveaux plus hauts vont devoir… retrousser leurs manches et faire plus de travail opérationnel, ou apprendre à utiliser des nouvelles technologies qui permettent d’automatiser ce travail… Ni ceux d’en bas, ni ceux qui sont très haut ne sont forcément familiers des tâches à assumer suite à ce nouveau moulinage des couches de l’entreprise. Beaucoup ne veulent tout simplement pas les assumer…

Le changement du paradigme, et la propagation de la nécessité d’utiliser les outils et les méthodes propres au travail de gouvernance, au quotidien, dans un nombre croissant des métiers, sont globalement bénéfiques pour la société. Cela permet de mieux prendre conscience des mécanismes de fonctionnement de ce monde et des conséquences de nos actes. Toutefois, comme dans chaque métier, pour être excellent, il faut avoir des bases académiques et théoriques vastes, ainsi que des expériences pratiques profondes. Le fait d’apprendre quelques mots du vocabulaire spécifique à un métier ne fait pas de vous un expert.

La spécificité de la gouvernance est que son apprentissage est long et que les conséquences du manque de maîtrise peuvent y être imprévisibles. Plus le système que vous gouvernez est complexe, plus les résultats de votre méconnaissance des méthodes et des outils nécessaires provoqueront de dégâts vastes et profonds. Les super-systèmes ne pardonnent aucune erreur de gouvernance.

Nous arrivons à la fin du Siècle d’or du management, ce que peut être une bonne chose. En contrepartie, s’il est remplacé par le Siècle d’or de l’amateurisme, cela risque de provoquer un véritable désastre.

 

Les opinions exprimées par les contributeurs de Vues & Revues leur sont propres et peuvent ne pas correspondre ceux de Vues & Revues.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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