BCE : l’histoire de Robin des Bois et de ses joyeux compagnons

Souvent, en entendant certains hauts responsables nous pensons nous retrouver dans un conte de fées, la mythologie grecque ou la légende populaire. C’est bien le cas avec la Banque Centrale Européenne qui apparait souvent à la une de l’actualité de ces derniers mois. En écoutant les intervenants de haut niveau de la BCE nous pouvons imaginer la sombre forêt de Sherwood, d’où Robin des Bois avec ses joyeux compagnons menait sa bataille pour ce que nous pouvons appeler aujourd’hui la justice sociale.

Comment pourrait-il en être autrement, car la page de l’accueil du site de la BCE le proclame haut et fort : « Notre mission au service des citoyens européens consiste à maintenir la stabilité des prix et à sauvegarder la valeur de l’euro… La BCE œuvre au service des citoyens européens et est formellement responsable devant eux par l’intermédiaire du Parlement européen».

Par ailleurs, les missions du Système européen de banques centrales (SEBC) et de l’Eurosystème sont définies dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’article 3 du traité indique ses objectifs parmi lesquels figurent « le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix et une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social » – le monde est beau.

Sauf que Mario Draghi et son équipe de joyeux compagnons semblent faire tout à l’envers. Normalement, ils devraient imiter Robin des Bois et prendre un peu aux riches afin de redistribuer au reste de la population. Au lieu de cela ils ont mis en place un programme qui vide les poches du citoyen lambda et qui redistribue le butin aux plus riches, tout au nom du sauvetage de l’économie de la zone euro. Tout comme les autres Banques Centrales l’ont fait depuis 2009.

Au cours des derniers mois l’implémentation d’un vaste programme d’assouplissement quantitatif (QE) a été discutée en large et en travers lors de chaque réunion des membres de la BCE. Et à chaque réunion ils décidaient d’attendre encore un peu avant de le lancer.

En même temps, lorsque les membres de la BCE faisaient leurs présentations à travers le monde, ils n’omettaient surtout pas de mentionner comment ce programme de rachat des actifs (évitons surtout de l’appeler assouplissement quantitatif, parce que cela laissera croire aux gens que la BCE va tout simplement imprimer de l’argent… ce que, très précisément, elle fait) va aider à relancer l’inflation dans la zone euro.

De point de vu de la théorie monétaire cela a du sens. De point de vue des réalités d’aujourd’hui c’est du non-sens absolu.

D’une part, d’après la théorie économique, l’assouplissement quantitatif doit être de courte durée. C’était précisément le cas avec le QE lancé par la Banque Centrale britannique au début de l’année 2009 : la première, à nos jours, intervention de ce type était massive et de courte durée. Cela a effectivement permit de donner une vague d’oxygène et un peu de liquidité au système économique britannique asphyxié par les conséquences de la chute de Lehmann Brothers en septembre 2008. Toutefois, l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) pratiqué depuis par la Réserve Fédérale est d’une durée et d’une ampleur jamais vues dans l’histoire et capable d’étouffer toute théorie économique. Ces conséquences sont imprévisibles.

D’autre part, la théorie n’est toujours qu’une théorie. D’après la théorie, la BCE doit créer de l’argent à partir de rien en achetant des actifs (principalement les obligations des Etats, des administrations centrales, des agences et des institutions de la zone euro) aux investisseurs, aux banques, aux assurances, etc. qui possèdent déjà ces actifs. Cela doit augmenter la demande sur ces actifs, baisser les intérêts, et mettre plus d’argent entre les mains des gens qui ont vendu ces actifs.

Il est évident qu’à cette étape une partie de l’argent payé pour ces actifs va être déposée sur les comptes bancaires au lieu d’être investie quelque part. Ceci est acceptable jusqu’à un certain niveau. Toutefois, c’est à partir de ce moment que les choses se complexifient.

Les taux d’intérêts plus bas sont supposés inciter les consommateurs et les entreprises qui étaient dans les starting blocs pour demander des crédits, et de s’y lancer. L’argent peu cher (le taux d’intérêt bas des crédits) est sensé devenir irrésistible et tout le monde doit sauter sur l’occasion d’emprunter à l’outrance pour consommer, en achetant des maisons, des voitures, des usines, etc.

En même temps, la partie de l’argent qui s’accumulait sur les comptes bancaires était supposée inciter les banques à faire plus de crédits. Car, si les banques sont purement et simplement assises sur l’épargne, compte tenu du taux directeur de la BCE, elles ne gagnent pas d’argent. Or en même temps elles doivent payer les intérêts aux épargnants sur leurs dépôts. Les taux d’intérêt bas doivent renforcer l’urgence pour les banques de créer et vendre plus de crédits, car dans la situation de taux bas elles ont besoin de chaque euro qu’elles peuvent gagner.

Tout cela, c’est toujours de la théorie. Puis, il y a la réalité.

Les banques, qu’elles soient dans la zone euro ou aux États-Unis, ne sont pas inondées par les foules de consommateurs et les représentants des entreprises qui veulent y emprunter de l’argent. Avec le niveau des salaires qui stagne et avec le vieillissement de population, les consommateurs de la zone euro sont plutôt intéressés par la préservation de leur épargne et de leur niveau de vie, que par l’accumulation de nouveaux crédits.

En ce qui concerne les entreprises, elles n’ont aucun intérêt pour se développer et pour emprunter afin de finances leur développement, tant qu’elles n’ont pas de nouveaux clients. Même si une société souhaite injecter de nouveaux fonds, elle peut emprunter directement auprès des investisseurs en émettant des obligations et en évitant les longs couloirs d’obtention de crédits bancaires.

Et les banques qui doivent vendre des crédits pour survivre dans tout cela ? Cela sonne comme une histoire d’antan. Afin de compenser les pertes suite à la diminution du nombre des crédits, au cours des dernières années les banques ont systématiquement procédé à l’augmentation des frais de gestion imputés à leurs clients. De plus, certaines banques de la zone euro font payer les pénalités aux déposants trop importants, au lieu de payer les intérêts sur leurs dépôts.

Le résultat de tout cela est que l’effet domino attendu de la création de l’argent par l’achat des actifs par la BCE, qui devait inciter les emprunteurs à prendre plus de crédits et les banques à en faire encore plus, afin que ces crédits se transforment en consommations effrénées, créant ainsi de l’inflation et la croissance économique… ne fonctionne pas.

Toutefois, il y a un seul domaine qui génère réellement de l’argent – les obligations.

Pendant que les représentants de la BCE passaient leur temps dans les longues présentations de comment ils vont initier le prochain programme de rachat des actifs, les traders du monde entier se sont lancés dans la chasse aux obligations à travers la zone euro, en anticipant le début de ce programme. La spécificité d’un investisseur professionnel est qu’il peut non seulement utiliser une partie de ses fonds pour ces achats, mais il a également droit à la marge (portfolio margin), qui leur permet d’avoir l’effet de levier de 10 par rapport à l’argent réellement détenu.

Au moment de l’annonce de la BCE concernant le début de son programme de rachat des actifs, Bank of America Merill Lynch a estimé que 25% des 5,1 trillions d’euros des obligations gouvernementales de la zone euro se vendaient avec des taux négatifs. Après l’annonce de la BCE, les taux d’intérêts ont chuté encore (et, donc les prix des obligations ont grimpé) en offrant aux traders des profits instantanés sur leurs positions.

C’est comme si les responsables d’un grand organisme gouvernemental du type Fannie Mae (FNMA) aux Etats-Unis disaient à tout le monde pendant des mois qu’ils vont acheter des maisons d’une certaine taille dans un certain quartier, quel que soit leur prix. Imaginez que vous êtes en mesure d’acheter une ou plusieurs maisons dans ce quartier avec un apport initial de seulement 10%. Alors le jour où FNMA finalement commence à les racheter, vous pourriez vous constituer une coquette somme.

Bien sûr les investisseurs individuels ne peuvent pas utiliser l’effet de levier de 10 (portfolio margin), voire ils ne peuvent pas du tout utiliser de levier. Les bénéfices de ce type d’opérations vont presque entièrement aux professionnels des marchés financiers.

Ceci étant dit, il en reste quelque chose pour les humbles citoyens de la zone euro – la baisse de l’euro. Pendant les mois qui ont précédé l’annonce de la BCE, l’euro a chuté de $1,35 à $1,17. Dans les jours qui ont suivi l’annonce, l’euro a continué sa chute jusqu’à $1,11.

Encore une fois, la baisse de l’euro faisait partie du plan de la BCE, afin de rendre les exportations européennes moins chères. Le problème est que l’effet positif de la baisse de l’euro est limité à quelques sociétés-exportatrices et ne s’étend pas forcement à leurs employés, et certainement pas à tous les employés. Toutefois, tous les consommateurs sentent l’effet de leur devise devenue moins chère – les produits exportés sont devenus plus chers.

A la fin des comptes le programme de Mario Draghi et de la BCE rend les traders plus riches et les citoyens lambda plus pauvres. Probablement, leur but n’était pas de jouer le Robin des Bois, mais le Sheriff de Nottingham à la place…

Source d’images : Wikimedia

Exprimez-vous : Avons-nous détecté une tendance ?

De point de vue économique - 0%
De point de vue technologique - 0%
De point de vue sociétal - 0%

Total

0%
Partager sur :

Edouard DE BERLEAU

Édouard DE BERLEAU est un expert du domaine de la finance et tous les sujets connexes. Il a travaillé dans des grandes institutions et...

Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Les commentaires sont fermés.