Commerce international et contradictions du droit américain

Il est toujours intéressant de regarder le monde du point de vue d’une profession qui n’est pas la vôtre. Cela permet de mieux comprendre la complexité des raisons qui génèrent tel ou tel phénomène, de mieux anticiper ce dernier ou de le corriger.

Les informations sur lesquelles est basé cet article sont pour beaucoup issues de la récente conférence sur le Commerce International et la Politique Énergétique, organisée par le Centre de l’Université de Chicago à Paris. Le principal intervenant, Maître Elliot J. Feldman, Responsable du practice Commerce International du cabinet Baker-Hostetler, a permis de mettre en évidence certaines incohérences, voir le manque d’adaptabilité du droit commercial (Trade Law) américain aux éventualités du monde d’aujourd’hui, dominé par les nouvelles technologies.

En novembre 2009 le Président de la République Populaire de Chine, Hu Jintao, et le Président des Etats-Unis, Barack Obama, ont signé un accord commun, U.S. – China Joint Statement, sur le futur développement des relations entre les deux pays, ainsi que sur l’avancement et l’élargissement des échanges dans les domaines d’innovation scientifique et technologique. Ces échanges sont, plus particulièrement, sensés de contribuer au futur développement des technologies écologiquement propres, comme l’énergie solaire, celle du vent ou bien les voitures électriques.

Le principal problème générée par cet accord réside dans le fait, que, conformément au droit commercial, les subventions sans lesquelles les technologies vertes peuvent difficilement se développer, sont considérées comme un dumping. En résumant la situation, Maitre Feldman a stipulé que le droit commercial américain, au lieu de guider les nouvelles technologies, crée la résistance à ces dernières.

La récente initiative américaine “Renewable Energy and Energy Efficiency Export Initiative”, qui comporte vingt-trois engagements provenant des huit agences fédérales (Department of Commerce, Department of Energy, U.S. Trade Representative, State Department, U.S. Trade and Development Agency, Export-Import Bank of the United States, Overseas Private Investment Corporation, and U.S. Department of Agriculture), est sensée :

  • « Réengager le gouvernement américain dans la reconsidération des barrières commerciales dans le secteur,
  • Augmenter le nombre des activités promotionnelles adressées aux sociétés du secteur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique,
  • Améliorer la distribution des services gouvernementaux de promotion à l’export à destination des sociétés du secteur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. »

Cette initiative prend en considération uniquement « les barrières commerciales » d’autres pays par rapport aux États-Unis et ne mentionne jamais l’inverse.

Le document “U.S.-China Memorandum of Understanding to Enhance Cooperation on Climate Change, Energy and the Environment” publié en 2009, a pour objet de “renforcer et coordonner nos efforts respectifs pour combattre le changement climatique global, promouvoir l’énergie propre et efficace, protéger l’environnement et ressources naturelles, et soutenir la croissance économique basée sur le développement durable, tout en diminuant l’empreinte carbone.

Les deux pays s’engagent à répondre vigoureusement au challenge global de la sécurité économique, du changement climatique et de la protection de l’environnement à travers les actions ambitieuses sur le marché domestique et la coopération internationale.

Afin d’atteindre ce but les deux pays ont l’intention de transiter vers l’économie à bas niveau de carbone, mener le dialogue politique et coopérer dans la construction des capacités et de la recherche, du développement et du déploiement des technologies favorables au climat.

Les deux pays sont déterminés à mener une politique de développement des domaines de coopération dans lesquels la mutualisation de l’expertise, des ressources, des capacités de recherche et des tailles de marché combinés peuvent accélérer le progrès vers les buts communs. »

Tout cela est très clair et très honorable, toutefois, la vie réelle apporte ses corrections. L’implémentation de ce Mémorandum génère un certain nombre de problèmes qui découlent l’un de l’autre :

  • Nous avons, derrière nous, les siècles de subvention des hydrocarbures ;
  • Les nouvelles technologies sont en compétition avec les hydrocarbures ;
  • Les nouvelles technologies ont besoin de subventions ;
  • Le droit commercial américain interdit les subventions.

Toutefois, en 2010 :

  • $200 milliards de subventions ont été attribués au secteur énergétique des hydrocarbures;
  • $66 milliards de subventions ont été attribués au secteur des énergies renouvelables.

Vingt-neuf Etats américains ont adopté la règlementation qui oblige les organismes du secteur des énergies et des installations publiques d’acheter un certain volume d’énergie provenant des sources renouvelables. Cette obligation est assez contraignante pour ces organisations, car elles ne veulent pas acheter l’énergie plus chère que la moyenne du marché (ce qui est actuellement le cas des énergies renouvelables). Le succès du développement du gaz de schiste aux U.S.A. a réduit considérablement son prix, en incitant de remplacer les énergies renouvelables par le gaz naturel.

Clairement, l’intérêt public nécessite de rendre la production des énergies renouvelables du soleil et du vent la moins chère possible, ce qui signifie que ces énergies doivent être subventionnées tant qu’elles n’arrivent pas à la maturité des énergies qui dominent le marché aujourd’hui.

De son côté, la Chine a mis des efforts considérables dans le développement des technologies et des énergies vertes, en les subventionnant massivement. Cela a permis la création des composants techniques peu chers dédiés à la production de ce type d’énergies et leur export par la Chine vers d’autres pays y compris les États-Unis. Les exemples de ces composants sont les tours pour les éoliennes et les cellules pour les panneaux solaires.

Lorsque l’on analyse la situation avec la génération de l’énergie du vent, on peut remarquer que la production de cette dernière est majoritairement située dans la « Wind Alley » qui s’étend de Dakota jusqu’au Texas. Les composants les plus « technologiquement-intenses » de ces installations (turbines, lames) sont produits par les grandes sociétés internationales de type Siemens ou Vestas. Les composants les moins technologiquement-intenses et plus encombrants (tours) sont habituellement produits pas les industries locales proches des parcs de production d’énergie. Ceci est plus particulièrement dû au cout élevé et aux difficultés physiques de leur transport (ces tours peuvent atteindre 100 m de haut). Par conséquent, une nouvelle industrie de production des tours pour les éoliennes s’est développée le long de « Wind Alley » à partir de 2007. Néanmoins, et pour ces mêmes raisons liées à la hauteur des tours, cette industrie était incapable de fournir ces tours pour les parcs des éoliennes situées en Californie et sur la côte Est des États-Unis. Il en résulte que les parcs des éoliennes dans ces régions ont commencé par acheter ces tours à l’étranger, notamment en Chine, qui s’avère être le fournisseur le moins cher du marché.

Très rapidement les producteurs de la Wind Alley se sont présentés en tant que « l’industrie sous la menace du dumping étranger » et ont demandé la protection du droit commercial américain. La majorité de ces industries américaines a été développée grâce au crédit d’impôt qui devait expirer avec le « fiscal cliff » de la fin de 2012. C’est pourquoi, en anticipant l’expiration de ce crédit d’impôt, la majorité des producteurs de la Wind Alley ont commencé à réduire leurs capacités et de les transférer vers les produits plus rentables que les tours des éoliennes.

En suivant la procédure légale, l’export chinois des tours des éoliennes était interdit aux États–Unis. Les parcs d’éoliennes en Californie et dans d’autres zones de la côte océanique sont dans l’incapacité de poursuivre leur développement. En même temps, suite à l’expiration du crédit d’impôt, la production des tours des éoliennes aux États-Unis tend vers zéro. Nous arrivons ici à la situation assez ridicule où le droit commercial punit ses propres producteurs de l’énergie renouvelable.

On peut retrouver une situation similaire dans le domaine de la production de l’énergie solaire. Suite à une pétition en provenance de ses propres industriels, les États-Unis ont interdit l’export des cellules des panneaux solaires produits par la Chine. En analysant le processus industriel de production de ces cellules, nous apercevons que leur production est extrêmement automatisée. Elle n’a pas besoin d’un nombre important d’employés. Par ailleurs, ces cellules sont fabriquées à partir de composants de silice qui sont importés par les chinois des États-Unis. L’installation du produit final, des panneaux solaires, est très consommatrice en main d’œuvre. Ainsi, nous nous retrouvons dans une situation assez ridicule et similaire à celle des tours des éoliennes : le droit commercial américain punit ses propres industries ayant besoin de l’utilisation intense de la main d’œuvre.

Maitre Feldman, qui conseille les acteurs Chinois dans ces procédures judiciaires complexes, a fait plusieurs propositions permettant de surpasser les contradictions existantes. Elles sont décrites dans son blog.

Source photo : Wikimedia

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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