Cycles économiques : technologies définissent tout

Les êtres humains ont une vision fortement linéaire. Nous propageons notre regard vers l’horizon et nous avons l’impression de suivre une ligne droite, la terre nous semble être plate. Cette confusion apparait également lorsque nous nous projetons vers l’avenir: nous avons tendance à imaginer que les évènements qui constituent cet avenir vont évoluer d’une manière progressive et linéaire.

De même que la terre n’est pas plate, mais ronde, les phénomènes qui nous entourent n’évoluent pas d’une manière homogène et linéaire. La majeure partie des croissances et des décroissances que nous pouvons observer, se déroulent d’une manière exponentielle. Les courbes de croissance et de décroissance se transforment en cycles. Nous sommes entourés de phénomènes cycliques. Nous sommes soumis aux cycles : le matin est suivi par le jour, qui se transforme en soir et qui devient la nuit, qui est à nouveau suivie par le matin et ainsi de suite.

Les deux tendances majeures, en dehors des changements climatiques, qui ont le plus influencé le progrès de l’humanité depuis 10 000 ans, la démographie et l’innovation technologique, sont également cycliques. Les cycles technologiques génèrent des bulles qui explosent, ce qui permet de faire progresser la technologie encore et encore.

D’une manière générale, les bulles technologiques sont différentes d’autres types de bulles, leur formation est nécessaire pour l’avancement du progrès. Une fois apparues dans les clusters, les nouvelles technologies créent de nouveaux secteurs à forte croissance et transforment les secteurs d’activité existants. Leur cycle de vie passe par quatre étapes, un peu comme les saisons ou les étapes de nos propres vies : l’enfance, l’âge adulte, la crise du milieu de la vie, la maturité.

Lorsque l’on observe l’évolution de l’humanité, chaque nouvelle génération (de point de vu démographique) crée des cycles économiques avec des vagues de prospérité suivies par des vagues de récession, qui se suivent environ tous les quarante ans et qui sont assez facilement prédictibles. Une génération sur deux fait émerger des technologies de rupture et une économie nouvelle. Une seconde génération sur deux (donc, tous les quatre-vingt ans) consolide les innovations précédentes, les généralise, les rends utilisables par le grand public, ce qui, entre autres, permet d’augmenter considérablement la productivité.

Vers la fin du XIXᵉ siècle, plusieurs technologies de rupture commençaient à se propager dans les usages : les téléphones, les voitures, les produits utilisant l’électricité, etc. Une nouvelle économie, basée sur la production de masse, les lignes d’assemblage et les grandes multinationales se développait. Environs 80 ans plus tard, vers les années 1960-1970 cette économie de masse avait atteint son apogée : chaque ménage avait sa voiture, son lave-linge, son poste télé, etc. La majorité des personnes avait un travail dans les métiers assez standardisés d’une usine ou d’un bureau. Le schéma : j’habite la banlieue, je travaille en ville, se développa.

A partir du début des années 1970 de nouvelles technologies de rupture commencent à émerger à nouveau :

  • Le microprocesseur a été inventé par les ingénieurs d’Intel en 1969, les prémisses de ce qui va s’appeler Internet émergent ;
  • Apple apparait en 1976 en créant un ordinateur individuel, IBM PC le suit dès le début des années 1980 ;
  • Au début des années 1990 l’Internet se propage auprès du grand public, tout comme les téléphones mobiles. La consommation commence à devenir de plus en plus personnalisée. En 1996 une jeune société nommée DELL pousse l’individualisation des produits encore plus loin en proposant à ses clients de choisir les composants de leurs futurs ordinateurs;
  • Aujourd’hui nous pouvons commander des cartes bancaires personnalisées, des voitures sur mesure, ou choisir son équipement sportif individualisé grâce à l’un des Adidas Walls.

20130613_PersonnaliseC’est ainsi qu’au début des années 1970 une nouvelle économie, l’économie personnalisée est née. Aujourd’hui nous vivons une véritable révolution de la consommation où tout produit et/ou service peut être individualisé, où le consommateur/usager de ce produit/service s’attend à ce que ce dernier soit personnalisable. Par ailleurs, la généralisation de nouvelles technologies amène une amélioration de productivité, ce qui permet aux entreprises de baisser leurs coûts. Les nouvelles technologies changent fortement nos modes de vie : nous n’avons plus besoin de nous déplacer pour voir une personne, car il est très facile d’organiser une visioconférence. Nous pouvons travailler à distance, en se trouvant un peu partout dans le monde.

A l’intérieur de ces cycles de développement technologique et d’apparition de nouvelles économies, rien n’évolue de manière linéaire ou homogène. La croissance d’une technologie suit la courbe en « S » avec des périodes de ralentissement et de croissance exponentielles. A sa conception, toute nouvelle technologie ou toute entreprise qui commercialise les produits basés sur cette technologie se développe progressivement dans un marché de niche. A partir du moment où le taux d’utilisation parmi son public cible atteint 10%, le développement de ces nouvelles technologies et des entreprises croit d’une manière exponentielle jusqu’à ce que le taux de pénétration tende vers 90% et que la technologie arrive à son stade de maturité.

Prenons, par exemple, l’une des nouvelles technologies du cycle précédent, l’automobile. On s’aperçoit qu’au début de sa commercialisation à l’aube des années 1900, cette technologie était accessible uniquement à quelques 0,1% des ménages urbains les plus aisés. Toutefois, chaque nouvelle technologie prometteuse qui cherche ses clients, a tendance à évoluer pour réduire ses coûts de production, à se transformer et à faire évoluer l’appareil productif qui l’entoure. C’est ainsi que Henry Ford a lancé en 1914 son modèle « Ford T », ayant pour but de créer une voiture qui peut être achetée par les ouvriers de ses usines. Ce modèle a permis à l’automobile d’arriver rapidement à 10% de pénétration sur son marché potentiel. L’adoption par l’industrie automobile des lignes d’assemblage électriques a rendu possible la production peu chère et massive. Ainsi, l’industrie s’est engagée dans une croissance exponentielle.

La propagation exponentielle d’une technologie ne se déroule pas en continu. Lorsqu’elle passe de 10% à environs 50% de son marché potentiel, l’euphorie qui accompagne toute la nouveauté se propage considérablement et atteint son apogée. Qui dit euphorie, dit valorisation excessive des actifs et explosion de la bulle boursière. Ainsi, la bourse américaine a reçu une secousse en 1921 – 1922 suite à la surévaluation des actions liées à l’industrie automobile. L’explosion de la bulle boursière a permis de retrouver la réalité avec les valorisations des entreprises plus raisonnables. De plus elle a permis de consolider l’industrie, en faisant disparaitre les acteurs moins profitables ou trop petits. Cette consolidation a été suivie par une nouvelle vague de croissance vertigineuse qui a duré jusqu’au Great Crash de 1929, l’époque où l’automobile a pénétré environ 90% de son marché potentiel et la technologie a atteint sa phase de maturité.

Si nous changeons les dates en se transportant d’il y a environ quatre-vingt ans vers le présent, en mettant « internet » ou « téléphonie mobile » à la place de l’ « automobile », nous retrouvons absolument les mêmes tendances.

Les technologies de l’internet et de la téléphonie mobile commencent à émerger vers le grand public au milieu des années 1980. Elles se propagent pour atteindre environ 10% de leurs clients potentiels vers 1994-1996. A partir de ces années, nous avons assisté à un véritable boum qui créa une bulle avec les valorisations insensées des entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies. La bulle a explosé vers 2001, lorsqu’Internet et les téléphones mobiles avaient couvert environs envions 50% de leur marché potentiel, tout comme l’automobile en 1921. Après une consolidation et la purge du marché, les deux technologies sont arrivées à leur maturité vers 2006- 2008.

Ces évolutions technologiques peuvent également être suivies avec la méthodologie de Hype Cycle de Gartner. Elle suit la croissance et décroissance exponentielle des diverses technologies et donne des noms propres à chaque étape de développement d’une technologie sur le marché :

  • Technology Trigger (qui correspond à environ 10% de la pénétration du marché dans les exemples ci-dessus) ;
  • Peak of inflated expectations(un peu avant les 50% de couverture du marché par la technologie);
  • Through of disillusionment(avec un peu plus de 50% de pénétration du marché, après l’explosion de la bulle);
  • Slope of enlightenment(croissance progressive après la purge du marché);
  • Plateaux of productivity (la phase de maturité pour la technologie).

20130613_Gartner HypeCycleNous pouvons tirer des conclusions très simples de cette analyse. Compte tenu du fait que l’histoire se répète (en cycles) et s’accélère rapidement (en « S »), beaucoup de tendances peuvent être anticipées. Lorsque vous analysez une activité par rapport à son niveau de pénétration du marché potentiel, vous pouvez facilement comprendre quels seront les prochaines étapes de son développement. Vous pouvez aisément prédire les perspectives du développement des entreprises qui utilisent telle ou telle technologie, leurs périodes de croissance et des difficultés potentielles. Tout cela peut s’avérer très utile, que vous soyez un investisseur, un chef d’entreprise ou un salarié.

Source photo : Wikimédia, sites internet www.societegenerale.fr, www.citroen.fr, www.dell.fr, www.shinyshiny.tv, www.gartner.com

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Jesse LEBLANC

Jesse LEBLANC est un entrepreneur, consultant et coach des entreprises, des entrepreneurs et des investisseurs de tout âge et de toute situation économique. Il...

Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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