Dans un fauteuil : Achats de Noël

Ils existent des métiers en exerçant lesquels vous vous retrouvez parmi les personnes les mieux informées de la planète. Prenez par exemple les coiffeurs, et imaginez tout ce qu’ils/elles peuvent entendre entre le shampooing, le massage, la coupe et le brushing… Détendu(e)s dans un fauteuil confortable, bien au chaud, avec une douce musique de fond, les client(e)s des salons de coiffure lèvent le voile sur les détails les plus intimes de tous les domaines de leur vies : les bons plans pour les soldes, les prochaines ouvertures des magasins, les problèmes conjugaux, les notes des enfants à l’école, les green-fees et la qualité des parcours de golf, les détails de l’achat des appartements… N’étant pas une exception en la matière, j’ai échangé, il y a quelques jours, à propos des premières données concernant les courses de Noël avec la patronne de mon salon de coiffure préféré.

En effet, toute personne qui a suivi les actualités des derniers jours de novembre – premiers jours de décembre, n’a pas pu manquer les mentions du début des achats massifs pour les fêtes de fin d’année. Aux Etats Unis cette ruée commence le vendredi qui suit le Thanksgiving (le quatrième jeudi de novembre). Appelé le « Black Friday », bien qu’initialement ce nom n’avait rien à voir avec les foules des chercheurs de bonnes affaires, comme l’a bien expliqué The New Yorker, cette journée permet d’évaluer les tendances des achats de Noël.

Au cours des dernières années, le « Black Friday » a été complété par le « Cyber Monday » : les acheteurs n’ayant pas trouvé leur bonheur dans les magasins physiques, se lançaient dans les achats sur internet dès le lundi qui suivait le long week-end de Thanksgiving.

Par ailleurs, « l’évaluation » des tendances des achats s’est transformée en « mesure » des tendances des achats : les technologies d’information permettent aujourd’hui d’avoir une vue en temps réel de l’état des stocks, de la chaîne logistique et du contenu des tickets de caisse des clients. Ce sont ces informations assez précises qui ont rempli les médias américains entre le vendredi 29 novembre et le mardi 3 décembre. Les statistiques du vendredi 29 indiquaient que, par rapport à l’année précédente, plus de clients ont fait leurs achats dans les magasins (3-4%). Toutefois ils ont dépensé en moyenne 3-4% de moins. Les statistiques du lundi 3 décembre disaient que le volume d’achats sur internet a dépassé de 50-70% celui de l’année précédente.

Il est assez difficile de mettre en avant les gagnants ou les perdants de cette tendance. Les habitudes d’achat des consommateurs deviennent de plus en plus complexes et impliquent l’utilisation de multiples canaux de distribution. Les « pure players » de l’internet comme Amazon, se trouvent actuellement en concurrence directe avec les géants de la grande distribution comme Wal-Mart. Cette situation, difficilement imaginable il y a à peine quelques années, s’est amplifiée avec l’annonce récente d’Amazon qui compte utiliser des drones pour accélérer la livraison de ses colis. Par ailleurs, les acteurs traditionnels se sont beaucoup transformés au cours des dernières années, en réorganisant leur fonctionnement et en investissant lourdement dans les technologies. Les supermarchés et les magasins américains spécialisés sont capables de suivre leurs clients dans les magasins physiques, sur internet, sur tous les appareils mobiles en lançant des offres spéciales personnalisées, en suivant l’état des étalages en temps réel, etc. Derrière se trouve une mécanique effroyable de connaissance et d’analyse des clients en fonction de leur lieu d’habitation, âge, habitudes d’achat, tendances du moment, disponibilité des stocks et des milliers d’autres paramètres.

Et le commerce français dans tout cela ? Comme la majorité des entreprises françaises, les grandes chaînes de supermarchés en France souffrent d’un manque chronique d’investissement et de vision stratégique tout simplement. Leur timide tentative du début des années 2000 face à l’arrivée massive de l’internet et des nouvelles technologies a abouti à la création ou à l’achat des filiales « pure players » internet. Ces filiales n’ont pas été intégrées dans la structure de la maison-mère, suite à la logique : on peut toujours se débarrasser facilement d’une filiale si elle fonctionne mal. Malheureusement, le coût de la mise à jour de cette configuration par rapport aux réalités du monde d’aujourd’hui est assez élevé. Il s’agit non seulement des coûts d’acquisition des outils technologiques plus robustes et sophistiqués permettant de trier, de nettoyer, de fusionner et d’agréger les données des clients purement internet et des clients des supermarchés physiques. Les coûts humains sont également non-négligeables, car l’organisation des filiales internet est presque entièrement redondante avec celle des maisons-mères. A cela s’ajoutent les coûts de gestion de changement de la culture d’entreprise, permettant la réorientation totale du business vers les besoins client et la maitrise complète de tous les canaux de distribution existant.

La nouvelle tendance de la relation client dans le monde du commerce porte le nom d’omni-canal. Elle sous-entend une approche entièrement intégrée et sans interruption de contact avec le client à travers tous les canaux disponibles: appareils mobiles, ordinateurs, magasins physiques, télévision, radio, mailing, catalogues, etc. Par exemple : vous regardez une publicité à la télévision, ensuite vous passez à la FNAC / DARTY / autre pour voir le produit qui vous a plu, et après cette visite vous le commandez à partir de votre smartphone / ordinateur / tablette. Dans la configuration d’omni-canal tous les canaux sont sensés travailler à partir de mêmes bases de données des produits, des prix et des promotions. Tous les messages passés aux consommateurs à travers ces canaux doivent être synchronisés et consistants. Beaucoup d’informations doivent être traitées en temps réel. Cela permet d’avoir une approche marketing plus efficace qui ne dépend pas du canal, mais uniquement du profil, des préférences de chaque consommateur, des caractéristiques qui peuvent être détectées grâce aux systèmes et outils de business intelligence / datamining.

En plus d’investissements lourds en technologies permettant une nouvelle gestion des produits, des processus métier, des parcours clients, des analyses des profils des clients et tant d’autres paramètres, le passage vers l’omni-canal exige la transformation complète de la chaîne logistique, ainsi que des investissements massifs dans le capital humain. Cela entrainerait la transformation des modèles de fonctionnement des supermarchés et des marques, changement de leur paradigme. Mais cette transformation en vaut la peine : le fait que les vendeurs orientés omni-canal deviennent centrés sur le client et non plus sur un canal spécifique, génère entre 15% et 30% de revenus supplémentaires par client et fidélise considérablement ces derniers.

Au jour d’aujourd’hui, aucune des chaînes de supermarchés français n’est capable d’assurer un suivi omni-canal du client. Toutefois, d’après les spécialistes du secteur, Carrefour reste le plus prometteur parmi les acteurs français. Sa direction informatique emploie des cadres à haut potentiel, avec des beaux parcours professionnels et une bonne éducation initiale. Le Système U commence à bien s’organiser et prendre la vitesse de croisière dans sa course vers l’omni-canal, grâce, notamment, aux excellentes embauches de la Direction Marketing au cours de la dernière année. En ce qui concerne Intermarché, ils s’engagent encore très doucement sur ce chemin de changement. Leclerc semble être le plus prudemment pragmatique de tous : il avance étape par étape et est actuellement en avance par rapport à ses concurrents sur la combinaison des canaux « internet » & « drive ».

Toutes ces évolutions vont entrainer beaucoup de questions et d’ajustements règlementaires. Parmi les plus évoquées ces derniers jours se trouve la question de récolte de la TVA par les gouvernements sur les ventes par internet, entre autres. Sachant que la TVA est l’une des principales sources des revenus de tout Etat et que les géants du commerce sur l’internet (Amazon, etc.) ne la payent nulle part (or, ils la prélèvent sur les produits vendus aux consommateurs), nous pouvons imaginer l’ampleur du problème. D’après les récentes évaluations faites par le Trésor Américain, la TVA actuellement non-perçue à travers le monde à cause de cette situation de non-droit sur internet, représente environs $ 3 200 milliards avec $ 1 400 milliard pour les Etats-Unis seuls. Mais ceci est le sujet d’une autre histoire…

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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