Définitions : Entrepreneur ?

Il existe des mots et des concepts connus depuis des siècles qui redeviennent soudainement à la mode. Prenons le mot « entrepreneur ». Ce mot d’origine français était né sous Louis XIV et désignait une personne qui était chargée des affaires/propriétés/entreprises pour le compte des tiers, souvent de la noblesse. Ils étaient engagés pour « entre-prendre » – prendre entre leurs mains et développer ces entreprises en générant des revenus pour leurs illustres propriétaires et un peu pour soi-même. Les propriétaires de l’époque passaient leurs vies à graviter autour du Soleil (roi) et n’avaient pas le temps (et/ou le talent) pour les tâches propres à l’entrepreneuriat, tout en ayant besoin de ses fruits.

Dans son livre « Essai sur la nature du commerce en général », Charles CANTILLON, l’économiste de l’époque, considérait l’entrepreneur comme « un preneur de risque qui délibérément affecte des ressources à exploitation des opportunités afin de maximiser le rendement financier ».

L’entrepreneur d’aujourd’hui fait à peu près la même chose : il/elle développe un business model (ou adopte l’un déjà existant), rassembles les ressources humaines, technologiques et matérielles nécessaires, et reste entièrement responsable de la réussite ou de la faillite de l’affaire.

Toutefois, l’effet de mode a amené à l’utilisation quelque peu abusive de ce mot…

Gestion de fortune

Récemment, le très respectable magazine britannique « Management Today » a attribué le titre « l’entrepreneur de l’année » à Victoria BECKHAM, l’ancienne chanteuse de Spice Girls, la femme de l’un de joueurs de foot le plus connu au monde et la propriétaire d’un business dans le domaine de la mode.

Ce fait a produit une réflexion tout à fait justifiée de Gene MARKS sur le sujet « est-ce que Victoria BECKHAM peut être appelée « entrepreneur » ». En prenant les exemples de Sam WALTON  (Walmart), Richard BRANSON (Virgin) et de personnes de son entourage, il a abouti à la conclusion que l’ex-Spice Girl est une excellente et respectable femme d’affaires, mais elle ne peut pas être appelée « entrepreneur ».

Trois jours plus tard, un autre contributeur des différents médias, Jeff HADEN, a décidé d’exprimer son désaccord absolu avec Gene MARKS: Victoria BECKHAM est un entrepreneur par excellence.

En prenant un peu de recul par rapport au combat des égos de ces deux contributeurs de « INC. », livrons-nous à une analyse indépendante. En effet, Victoria BECKHAM semble être la plus grande réussite publique parmi les ex- Spice Girls. Toutefois, sa réussite dans le monde des affaires est bien plus en rapport avec la gestion de sa  fortune qu’avec l’entrepreneuriat. Comme l’a bien remarqué quelqu’un de mon entourage « Entreprendre quand tu ne fais qu’exploiter ta notoriété dans le domaine où la presse people/mode a fait de toi une icône, ce n’est pas « entreprendre » ; ce n’est que faire fructifier ton capital… »

Principal et ses agents…

Un autre exemple de l’abus de langage est très fréquent dans certains médias qui font des annonces du type: « Nous somme le média des entrepreneurs, voici l’un d’entre eux, le PDG de [le nom d’une société de CAC40] ».

Soyons clairs: le PDG d’une multinationale n’est pas un entrepreneur, sauf s’il/elle a fondé cette multinationale. Tout comme dans la situation concernant Victoria BECKHAM, le PDG de CAC40 ne prend pas des risques d’un entrepreneur. C’est un mandataire social, qui porte, techniquement, un seul risque de plus qu’un salarié : il peut être révoqué ad nutum (à tout instant et sans motif) contrairement à un salarié moyen qui a le droit à trois mois de préavis. Toutefois, le risque de « ad nutum » a bien des palliatifs sous forme de « parachutes dorés » et autres coussins de sécurité.

A part les aspects décrites ci-dessus, un point important permettant de différencier un entrepreneur et un non-entrepreneur, c’est leur positionnement dans le contexte de « principal-agent problem« . Ce paradigme bien connu en économie consiste dans l’asymétrie de l’information et des intérêts des différents acteurs économiques. Dans notre cas, l’entrepreneur, le propriétaire d’une entreprise, appelé « principal », est guidé dans toutes ses actions par les intérêts de l’entreprise. A un certain moment du développement de cette dernière, elle n’est plus gérée par celui qui l’a fondée, mais par des « agents », employés et rémunérés pour leur travail. Dans ses actes, un agent est surtout guidé par ses intérêts personnels qui priment pour lui sur les intérêts de l’entreprise. C’est d’ailleurs pourquoi au cours de dernières années la majorité des entreprises a essayé d’implémenter différents instruments (stock-options, participations, etc.) permettant d’amoindrir les conséquences potentielles du « principal-agent problème ». Revenant aux PDG du CAC40: aucun d’entre eux n’est « principal », ils sont tous des « agents », donc, ils ne sont pas des entrepreneurs.

Entrepreneur ou patron ?

Un autre abus de langage est la confusion entre les mots « entrepreneur » et « patron »/ « propriétaire d’une PME-PMI ». Les deux ont des petites entreprises, mais leurs modes de gestion, leurs visions et leurs stratégies sont bien différentes. Le/la chef d’une petite entreprise a surtout l’approche d’un bon gestionnaire. Il/elle peut avoir de très bonnes idées, une très bonne connaissance des besoins locaux, de ses clients et il/elle est extrêmement réticent par rapport à la prise des risques. Sa préoccupation majeure est de garder la stabilité de l’entreprise et de savoir d’une manière claire à quoi s’attendre au cours de prochaines semaines. Il/elle a souvent un attachement sentimental à son entreprise.  Tout cela est très honorable et contribue fortement à la stabilité de l’économie d’un pays, à la création des emplois et à la prospérité locale. En ce qui concerne un(e) entrepreneur, dans l’absolu, il/elle pense grand et voit loin, tout cela sans aucune réticence face à la prise des risques, se lançant sur des voies où personne n’a jamais mis le pied avant lui. C’est ainsi que les entrepreneurs propulsent l’économie vers le futur. Ils/elles visent une échelle exponentielle de la croissance de leur entreprise. Nous sommes dans le domaine bien connu des investisseurs avertis : les risques pris sont proportionnels aux retours potentiels.

Phénomène de société

Il y a également un phénomène de société récent : des personnes qui enregistrent une activité ou qui prennent des participations dans une société existante et qui, techniquement parlant, s’arrêtent là. Le fait d’être juridiquement lié à une petite entreprise leur permet de fréquenter toute sorte d’évènements et de réseaux dédiés aux entrepreneurs, ou/et épater le public lors de soirées mondaines avec les phrase du type « Nous, les entrepreneurs français… », ou similaires bourrées des termes à la mode (« moteur de l’économie », « investissements », « capital », « preneurs des risques »). Et pendant ce temps-là leur entreprise est en train stagner ou de s’éteindre petite à petit…

Parmi les personnalités connues et appelées « entrepreneurs » il y a un peu de tout. Xavier NIEL est un entrepreneur. Il a commencé à partir de peu de choses et maintenant il essaye de conquérir d’autres continents. Bernard ARNAUD est un entrepreneur : il a su transformer une petite industrie familiale en empire mondial du luxe. Ses enfants ne sont pas des entrepreneurs, mais des héritiers et des gestionnaires. Les PDG du CAC40 ne sont pas des entrepreneurs, mais des gestionnaires.

Aucun des termes « entrepreneur », « gestionnaire », « agent », « principal » ou « patron » n’est condescendent ou réducteur par rapport aux autres. Porter l’un de ses titres n’est pas plus ou moins honorable par rapport aux autres. A chacun son métier, surtout si vous savez y exceller.

Source image : Wikipedia

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Jesse LEBLANC

Jesse LEBLANC est un entrepreneur, consultant et coach des entreprises, des entrepreneurs et des investisseurs de tout âge et de toute situation économique. Il...

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