L’approche technologique de l’avancement de carrière

Les Big data que nous créons, volontairement ou pas, sur Internet, sont censés aider les professionnels du domaine RH à améliorer l’exactitude du choix des candidats lors de recrutement.

Imaginez que le monde professionnel, dans dix ou quinze ans, ressemble à ce que je vais vous décrire. Supposons que vous recevez, sur l’une de vos messageries, une proposition de travail sans un coup de fil ou un entretien physique préalable. Et vous l’acceptez sans voir votre employeur potentiel, car vous savez que l’accumulation de données personnelles que vous avez laissées sur internet a permis de vous choisir parmi des millions de candidats potentiels.

Aujourd’hui déjà Facebook constitue un dossier très complet sur chacun de ses utilisateurs. Il contient non seulement les messages publiés, mais également ceux qui ont été supprimés ou non-achevés, les données démographiques, les sites visités, les « likes », etc.

Pour laisser les mégabits d’informations personnelles sur internet, vous n’êtes pas obligé de remplir les profils dans les réseaux sociaux, télécharger les photos sur Instagram ou signaler votre « check-in » dans tel ou tel restaurant. Les traitements technologiques liés aux produits et services que vous utilisez permettent déjà de bien cerner votre empreinte digitale.

Au cours de l’été 2016 un café britannique a mené une expérience sociale. On y offrait une boisson gratuite pour un « like » sur Facebook. Pendant que le café était en préparation, sur la durée d’une à deux minutes, on constituait le dossier sur le visiteur à partir de son empreinte digitale. Le client recevait son café avec, en complément, ses informations de contact, les établissements où il avait fait ses études, ses lieux de travail, etc…

Les banques, les opérateurs de téléphonie mobile et les commerçants ont été les premiers à constituer nos profils détaillés pour des buts commerciaux, que nous le souhaitions ou pas. Maintenant les spécialistes du recrutement leur emboîtent le pas. Aujourd’hui le facteur humain joue un rôle déterminant dans près de 90 % des cas de recrutement. Certains adeptes des technologies annoncent que dans quinze ou vingt ans ce chiffre ne dépassera pas 30 %.

Les données biographiques et professionnelles, les traits de personnalité, les préférences politiques, les loisirs, les centres d’intérêt, les habitudes – tout sera accessible au recruteur en quelques secondes sans aucune intervention de votre part. Grâce à l’utilisation des réseaux des neurones et à l’apprentissage des machines (« machine learning ») il sera possible d’analyser vos photos et vos entretiens vidéo. La technologie va fournir au recruteur l’analyse de vos gestes, des expressions de votre visage, de votre voix, avec les conclusions concernant votre tempérament, votre niveau de stress et votre taux de sincérité. Par ailleurs, la machine va communiquer le nom des magasins où vous faites vos achats, les produits que vous achetez, l’adresse de votre salle de gym, la fréquence avec laquelle vous y allez, le niveau d’exercices que vous pratiquez, vos liens avec la criminalité, vos différents crédits, etc. La phrase « Parlez-moi de vous », traditionnelle pendant les entretiens, sera inutile.

Le tableau ainsi brossé de l’avenir, où votre vie ne vous appartient plus, fait ressembler le « 1984 » de George Orwell à un monde innocent de Bisounours, n’est-ce pas ?

Le seul point « positif » que présente le monde ainsi imaginé serait peut-être le fait que toutes les tentatives de la politique interne et autres freins à l’efficacité sans fautes de votre travail seront détectés et supprimés en quelques clics. Car toutes les interactions humaines seront minimisées et orientées uniquement vers l’augmentation amicalement pragmatique de votre productivité…

Vous pourrez réfléchir à ce type de futur à vos heures perdues, car maintenant nous revenons vers notre aparté scientifique. Dans plusieurs cercles professionnels on parle de plus en plus des dangers d’une confiance aveugle faite au monde des Big data, de l’intelligence artificielle et autres apprentissages des machines.

Prenons l’affichage des différentes publicités liées à vos « likes », votre historique de navigation et vos achats. Cela peut paraître anodin, or ces affichages peuvent être intrusifs et déloyaux ou injustes. Les publicités peuvent avoir une tendance discriminatoire, par exemple en fonction de votre race.

Par ailleurs, les études américaines suggèrent que les recherches sur internet pour les noms caractérisés comme « black-identifying » génèrent bien plus de publicités liées aux casiers judiciaires que ceux qui concernent les noms caractérisés comme « white-identifying ». Des cas de discrimination ont été signalés au Royaume-Uni, où une femme médecin ne pouvait accéder aux vestiaires des femmes, car le système automatique de sécurité avait identifié son profil comme masculin, en associant le titre « Dr » (docteur) aux seuls profils masculins…

Le « profiling » créé à l’aide des Big data peut s’avérer encore plus intrusif dans certaines situations. Par exemple, aux États-Unis les plafonds des crédits de certaines personnes ont été abaissés uniquement parce qu’ils faisaient certains achats dans des magasins fréquentés par des personnes ayant des difficultés de remboursement de crédit…

Les mêmes types d’erreurs peuvent avoir lieu lors du profiling des candidats pour un poste à pourvoir.

Pour tenter de protéger leur vie privée, certaines personnes, agissant, notamment, en tant que consommateurs, fournissent de fausses données aux commerçants.

Une étude britannique démontre qu’ils sont près de 60 % à le faire.

Les analyses faites avec les Big data utilisent toutes les données disponibles. L’une des conséquences de ce phénomène a été observée, par exemple, lors de l’analyse des comportements de la population pendant l’ouragan Sandy en 2012. L’analyse des tweets et publications sur Foursquare a été prise comme indicateur de ces comportements. Sauf que les personnes qui se trouvaient dans les zones réellement affectées par l’ouragan ne pouvaient pas publier de messages sur les réseaux sociaux suite aux coupures du réseau. Ainsi, leur comportement n’était pas pris en compte, ce qui a faussé cette analyse

Plus haut dans ce chapitre nous avons décrit l’avenir du monde du recrutement tel que certains l’attendent dans dix ou quinze ans. Or cet avenir sera faussé de la même manière que l’étude des comportements pendant l’ouragan Sandy. La raison en est simple : la diversification des types de travail dans le monde professionnel. Selon Giacom, 50 % des travailleurs seront indépendants, sous une forme ou une autre, d’ici dix ans en France. Aux États-Unis, déjà plus d’un Américain sur trois est freelance, soit 42 millions de personnes. Donc, l’approche de la recherche des compétences changera. Et cela ne sera pas le « remplacement 1 pour 1 » par rapport à l’existant.

Nous pouvons continuer de citer d’autres exemples de ce type qui nous mèneront à la même conclusion : un professionnel de haut niveau peut être recruté uniquement par un professionnel humain du recrutement. Par ailleurs, le seul moyen de se distinguer parmi les robots ou ceux qui ont tendance à devenir une sorte de biorobots, dans le monde professionnel de demain, est de développer ses qualités humaines avec toutes leurs imperfections et leur imprédictibilité.

 

Les opinions exprimées par les contributeurs de Vues & Revues leur sont propres et peuvent ne pas correspondre ceux de Vues & Revues.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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