Le prix de l’entrepreneuriat

Au cours des dernières années, les mots “entreprendre”, “entrepreneuriat” sont devenus des symboles de gloire, de légende, synonymes de quelque chose de mythique. Les médias y sont pour beaucoup. Or, cette période festive peut être le moment opportun pour évoquer le côté presque Dickensien de l’entrepreneuriat.

Bâtir une entreprise qui fonctionne n’est pas facile. Mais en-dehors de l’image héroïque des entrepreneurs-chevaliers  qui se lancent tous les jours dans des batailles nobles de développement de leurs entreprises, il y a toute une autre réalité. Sa brutalité peut être gênante : il y a environ deux ans, un rapport produit notamment par des médecins de travail, était brièvement mentionné dans les médias mais il a vite disparu des sujets de conversations.

Tout d’abord, pour réellement lancer une affaire il faut un capital de départ. De nombreux créateurs d’entreprises les financent avec leur propre épargne, en vidant leurs livrets, PELs, PEAs et autres LDDs. Le plus souvent ceci n’est pas suffisant. Arrive le tour de « love money », de l’emprunt de l’argent auprès de la famille et des amis.  C’est à partir de cette étape où la pression monte considérablement sur le chef d’entreprise. Tant que le business créé n’est pas profitable, le fondateur a l’épée de Damoclès de ces sommes à rendre aux personnes qu’il/elle croise régulièrement, et qui n’hésitent pas à lancer « et alors, où en es-tu avec ton business ? ». Cette pression est supportable lorsque vos proches vous soutiennent, lorsque votre femme accepte de réduire drastiquement le budget « sorties » ou « alimentation », lorsque votre mari accepte de ne pas vous voir pendant des journées entières. Et lorsque ceci n’est pas le cas ? Le nombre de divorces, de séparations et de crises personnelles pendant ces périodes charnières est inimaginable.

Les entrepreneurs qui ont réussi arrivent au statut des héros. Tout le monde admire les Mark Zuckerbergs et autres Xavier Niels. Mais derrière ces quelques succès stories se cachent des milliers d’autres qui ont silencieusement frôlé le désespoir, qui sont passé par les périodes d’une anxiété paralysante, qui ont touché le fond avant de s’en sortir. Ce sujet reste un tabou dans notre société, tout comme l’était le sujet des échecs et des faillites jusqu’à il y a peu de temps. Les entrepreneurs sont sensés rester dans le « socialement correct » et « surhumainement fort ». Toby Thomas, fondateur d’EnSite Solutions a comparé la situation d’un entrepreneur avec celle de quelqu’un assis sur le dos d’un lion : « Le gens autour le regardent et s’exaltent : oh, quel courage, quelle force – il a su monter un lion. Or, le gars sur le dos du lion pense : Comment, au diable, je me suis retrouvé ici, et comment vais-je faire pour ne pas être mangé par le lion ? ».

Le milieu entrepreneurial américain a été dernièrement secoué par les suicides des fondateurs des sociétés assez médiatisées : en janvier 2013 Jody Sherman, le fondateur du site Ecomom s’est donné la mort à 47 ans, deux ans plus tôt c’était Ilya Zhitomirskiy, 22 ans, cofondateur du réseau social Diaspora.

Depuis, de plus en plus d’entrepreneurs américains connus et inconnus partagent le fond de leurs pensées noires dans leurs blogs, leurs interviews, leurs discussions. Le corps médical qui sait parfaitement bien que le surmenage et la fatigue nerveuse excessive mènent vers la dépression profonde qui, à son tour, peut conduire vers le néant, s’est joint à cette communication.

Si vous êtes un chef d’entreprise, ces lignes peuvent vous paraitre du « déjà vu ». Vous savez ce que cela veut dire de se trouver au carrefour de tous les revers de la médaille de l’entrepreneuriat : la perte de clients, les désaccords avec les associés, renforcement de la concurrence, problèmes de recrutement – tout cela pendant que vous essayez de tenir les prévisions financières et d’avoir de quoi payer vos employés.

Les entrepreneurs-débutants aggravent la difficulté de la situation en négligeant leur santé en mettant de côté les activités sportives, l’alimentation équilibrée et les nuits de sommeil réparateur. Cela les rend plus vulnérables vis-à-vis du stress et des imprévus intrinsèques à une entreprise en développement.

Or, il y a le minimum de précautions à prendre dans l’entrepreneuriat, comme dans tout type de métier. Tout d’abord, ne pas identifier le « soi » avec « mon travail/mon entreprise ». Même si le succès de l’entreprise n’est pas au rendez-vous, votre conjoint, vos enfants vous aiment quand même. Alors, le plus important dans l’histoire est de trouver le temps pour ceux qui vous aiment, qui vous soutiennent.

L’une des clés du succès est de construire sa vie autour de la philosophie qui permet de ne pas confondre la valeur de soi en tant que l’être humain et sa valeur patrimoniale. Et puis, qui ne tente rien, n’a rien – la vie est remplie de hauts et de bas.

Par ailleurs, il est primordial d’avoir des centres d’intérêt autres que votre business, des intérêts qui vous permettent de vous sentir valorisé et digne de réussite. Il est également important de se fixer des limites – les limites financières, les limites de temps. Et surtout, il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide – ce n’est pas une faiblesse, mais une sagesse.

Source d’image : Wikimedia

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Jesse LEBLANC

Jesse LEBLANC est un entrepreneur, consultant et coach des entreprises, des entrepreneurs et des investisseurs de tout âge et de toute situation économique. Il...

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