L’évolution des espèces

La société française peut être comparée à un jardin classique. Maintenant imaginez la beauté de ce jardin à la française avec ses lignes droites, ses gazons et ses arbustes bien taillés, organisés en figures géométriques et représentant la recherche de la perfection formelle dans toute sa splendeur. Il n’est pas anodin que ce type de jardin soit né en France, où, pendant des siècles, toute la vie de la société était organisée en étoile et fortement hiérarchisée.

Toutefois, nous devons remarquer que le danger généré par les allées en lignes droites, est justement une pensée un peu… trop linéaire. Lorsque le ressortissant d’une grande école a besoin d’embaucher un employé, il préférera celui qui a fait son école quelles que soient ses compétences. C’est moins le cas dans les pays anglo-saxons, où l’approche souvent est bien plus pragmatique.

Une haute responsable d’une banque française m’a indiqué clairement que tel département (disons, Mergers & Acquisitions) est entièrement constitué des anciens de telle école, un autre département (disons, Corporate Finance) est constitué des anciens d’une autre école. Les deux ne se mélangent jamais et n’acceptent pas de personnes issues d’autres formations.

Pourquoi ce phénomène ? Est-ce que c’est la peur de la prise de risque et de l’échec ? La volonté de tout garder « entre nous » ?

Cette situation génère plusieurs dangers personnels et publics. D’une part, on arrive à la multiplication des phénomènes de « groupthink » qui génèrent de nombreux « cygnes noirs », car les personnes ayant fait une grande partie de leurs études ensemble, ont peu de capacité à réfléchir différemment.

Un autre danger, c’est ce que l’on peut appeler la « consanguinité ». Rappelez-vous Les Rois maudits de Maurice Druon. Les alliances matrimoniales au sein de la famille royale proche ont mené à l’extinction de la dynastie, à l’apparition de descendants n’ayant pas les capacités mentales ou physiques pour gouverner ou pour se reproduire…

Par ailleurs, nous avons déjà abordé le fait que l’espèce humaine fait partie de la biosphère, elle est donc soumise aux lois biologiques. Or, les études de l’évolution des espèces, y compris celles spécialisées dans les études du cerveau humain, sont unanimes : une extrême spécialisation et l’isolement de l’espèce conduisent à son extinction biologique…

Eh oui, quel que soit votre niveau social, quelle que soit la renommée de l’établissement dans lequel vous avez fait vos études ou dans lequel vous travaillez, vous et moi, nous sommes des espèces biologiques. Et les lois biologiques sont les mêmes pour nous tous.

Par exemple, pour mille enfants nés dans les familles appartenant aux élites et pour mille enfants nés de parents issus de la « masse statistique de la population » nous allons avoir à peu près la même proportion d’enfants particulièrement doués. Par « doués » j’entends qui sont capables d’appréhender les connaissances d’une manière consciente et réfléchie.

Ceci n’est qu’un fait biologique. Mais qui devient un problème de société à partir du moment où ses élites restent enfermées sur elles-mêmes. En se sentant « élites » elles considèrent que tout leur est permis et elles s’emparent d’ambitions  surdimensionnées par rapport à la mesure de la réalité physique et biologique.

Par ailleurs, très souvent dans diverses organisations et institutions les postes qui exigent des capacités à gouverner, se transmettent des parents issus de l’élite à leurs enfants. Ceci est un peu comme l’héritage d’un titre et de privilèges au Moyen Âge. Donc, le cercle des personnes gouvernant les pays, les régions et les entreprises reste fermé, avec très peu de renouvellement venu de l’extérieur.

Nous observons clairement que le niveau d’éducation à travers la planète baisse pour toutes les couches de la population. Ainsi, nous nous retrouvons dans la situation où les élites gouvernantes continuent d’avoir des ambitions de plus en plus démesurées en ayant de moins en moins de compétences.

L’évolution de la réalité objective fait que suivant les lois biologiques, les enfants des élites ne naissent pas particulièrement plus intelligents que ceux du reste de la population. Suite au renfermement des élites sur elles-mêmes, leur niveau de compétences n’évolue pas particulièrement. Suite à la dégradation globale du niveau d’éducation à tous les niveaux et dans tous les pays, le niveau de compétences des élites se dégrade également, et par conséquent, la qualité de leur gouvernance.

Les conséquences de cette dégradation ? De temps en temps on permet aux ressortissants de la « non-élite » d’accéder aux fonctions de la gouvernance. Par exemple, en Grande Bretagne la Reine attribue le titre honoraire de chevalier aux personnes ayant atteint des hauteurs remarquables dans leur métier, comme Richard Branson, Paul McCartney, Judi Dench, John Major… En France il existe La Légion d’honneur, L’Ordre National du Mérite, L’Ordre des Palmes académiques, L’Ordre des Arts et des Lettres. Pour les enfants défavorisés particulièrement doués il existe de plus en plus de passerelles leur permettant d’accéder aux grandes écoles.

Lorsque tous ces mécanismes ne sont pas suffisamment efficaces la société passe… par des révolutions. Ou des « révolutions de couleurs » diverses. Les deux permettent de remplacer les élites gouvernantes par des nouveaux cadres.

Ici je me permets un aparté : étant opposée à tout type de révolution et à tout type de violence, je suggère à chaque personne contaminée par le virus du romantisme révolutionnaire d’étudier en détail l’histoire de quelques révolutions.

Par exemple, d’après les spécialistes de la Révolution Française, la période de la Terreur a provoqué entre 200 000 et 300 000 morts. Compte tenu du fait qu’en 1790 la France comptait environs 28 millions d’habitants, cela représente près de 1 % de population. Par ailleurs, les incivilités et les guerres associées à la Révolution Française ont coûté la vie à trois millions de personnes (le chiffre exact est assez difficile à établir). Donc, la France a perdu près de 10 % de sa population en seulement quelques années. Je vous laisse traduire ce pourcentage dans les chiffres relatifs à la population française d’aujourd’hui.

Par ailleurs, la Révolution française et les événements associés ont retardé de plusieurs décennies le développement du capitalisme en France et le développement du pays tout court. Cela a permis à la Grande Bretagne de prendre le leadership mondial, rôle qui était précédemment partagé avec la France…

J’achève ici mon aparté.

Revenons à l’évolution de l’espèce humaine et aux aléas de cette évolution, qui nous concernent, vous et moi.

À partir du moment où quelqu’un se considère comme faisant partie de l’élite, il commence à croire que tout lui est permis. Comme l’a bien remarqué le Pape François « avoir du pouvoir c’est comme boire du gin à jeun » (« Power is like drinking gin on an empty stomach »). Notre société accepte ce « tout permis », et acquiesce avec une remarquable servilité : « oh, oui, LUI, il peut se permettre de le dire / faire, vu son rang / école / autre. » Cette acceptation du « tout permis » n’est rien d’autre qu’une maladie qui touche l’esprit de nos pairs, leur perception et leur conception du monde.

Les personnes atteintes par cette maladie sont incapables de réaliser leur potentiel génétique de développement. Il s’agit surtout du potentiel intellectuel, car la majorité des personnes atteintes de cette maladie ont pour slogan « ça ne me regarde pas ».

Revenons au fait que l’homo sapiens n’est qu’une espèce biologique, et que son destin peut être le même que celui d’autres espèces :

  1. Nous pouvons prendre pour notre évolution une voie sans issue, aller droit dans une impasse. Cela engendrera la disparition (très pénible) de l’humanité. Nous sommes actuellement plutôt sur cette voie.
  2. Nous pouvons assurer une existence très longue à l’humanité, qui va s’élever jusqu’au niveau permettant de réaliser son potentiel génétique, occuper une place stable dans la biosphère et créer les conditions nécessaires pour une évolution équilibrée de cette biosphère.

Ainsi, chacun, à sa place et avec son niveau de compréhension ou d’incompréhension du monde qui l’entoure, est censé construire son avenir et celui de ses proches.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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