Netflix et le paysage médiatique français

Netflix est lancé en France. Peu de battage médiatique, pas de crises cardiaques connues parmi les dirigeants des médias français, pas de dépressions nerveuses, et pourtant…

Netflix n’est pas un N-ème acteur de la vidéo à la demande classique connu en France. Disponible actuellement en France dans les offres des Box ADSL, ce service est payable à chaque fois que vous consommé un produit : « Canal Play VOD » à partir de 1,99 € par film, « My TF1 VOD » à partir de 0,99 € le programme pour 48h, etc. Donc, vous payez réellement en fonction de votre demande. Le business modèle de Netflix est non pas de facturer à l’unité, par produit consommé, mais au service. A partir de 7,99€ par mois vous pouvez regarder autant de films, de séries et d’émissions que vous voulez, sur tout (ou presque) support que vous souhaitez, au moment qui vous convient le mieux. La comparaison entre les offres existantes actuellement en France et celle de Netflix fait penser aux débuts de l’internet, où nous payions la connexion analogique et la consommation en fonction du volume de données consommés. Aujourd’hui, avec l’ADSL, la fibre optique et la 4G, nous utilisons l’internet illimité à peu près partout, à n’importe quelle heure et avec tout support connectable.

Sur quelques articles qui ont paru dans la presse à l’occasion de l’arrivée de Netflix, même les meilleurs et les plus complets manquent la vue stratégique globale. D’après Ariane Bucaille, associée chez Deloitte citée par La Tribune, « Il n’y aura pas de grand soir, l’impact sera long et diffus. C’est un sujet de long terme, Canal Plus et les autres acteurs auront le temps de se retourner. La SVOD représente 1,5% du marché de la TV payante en Europe et devrait doubler à 2,7% en 2018. Cela ne mettra pas à terre l’économie de la télévision en Europe. » Dire cela est oublier que l’arrivée d’un géant américain en Europe rassemble toujours au passage d’un rouleau compresseur (pensez à la disparition d’Alapage suite à l’arrivée d’Amazon). Le fait que Netflix ait décidé de venir en France (en Europe) signifie que le business plan correspondant a été fait, que les divers scénarii ont été envisagés, et que même avec toutes les analyses du type « risk and compliance » les simulations financières aboutissent à la Net Present Value positive pour cette expansion géographique.

Quel type de public sera attiré par Netflix en France ? Tout d’abord, ceux qui n’ont pas connu l’internet analogique de Wanadoo et les toutes premières offres de Free, ceux qui ont l’habitude d’être connectés à internet à tout moment de la journée à partir de leur smartphone, leur tablette, leur PS 3, etc. Je parle des générations Y et Z. Accéder, pour moins de 8 €/mois, aux séries télévisées préférées en qualité bien supérieure à celle de la grande majorité de ce que l’on peut trouver en streaming pas très officiel et avec un bon moteur de recommandation– cela en vaut la peine. Les « Z » vont initier leurs parents à Netflix et ainsi de suite.

Et puis il y a un autre marché gigantesque dormant, sensible à l’offre de Netflix. Étonnamment, ce sont les personnes de 60 ans et plus. La preuve se trouve dans l’exemple venu d’outre Atlantique. Récemment, la chaine américaine A&E a supprimé une émission basée sur le personnage du Sheriff Longmire, un type honnête, peu bavard qui a du caractère. La série était extrêmement populaire (5,6 mln de téléspectateurs). Elle s’est classée très vite en deuxième position parmi celles proposées par la chaine, sauf que… elle attirait le « mauvais » publique. L’âge moyen du téléspectateur de Longmire était de 60 ans, bien en-dehors de 25-54 ans ciblés par A&E. Et c’est là où réside un vrai souci pour la chaine : un spot publicitaire de 30 secondes au milieu de « Longmire » coute environs 31 000 $ et génère environs 0,0056$ par téléspectateur. Ce même spot publicitaire tourné lors de la transmission de « Mad Men » (2,5 mln téléspectateurs) qui attire la cible de 18-49 ans, coute environs 69 000$. Il génère environs 0.028$ par téléspectateur, ce qui est presque 5 fois supérieur que le revenu généré par le téléspectateur de « Longmire ».

Alors… alors ces millions de téléspectateurs, âgés en moyenne de 60 ans et fidèles à leurs habitudes sont passés à Netflix, où ils peuvent regarder leur série préférée autant qu’ils veulent. Compte tenu de la proportion de plus en plus croissante des seniors dans les pays européens, Netflix a un bel avenir devant lui. Car c’est bien cette population des baby-boomers nés après la seconde guerre mondiale qui a défini les tendances majeures des dernières décennies.

Par ailleurs, pourquoi Netflix, qui a bien conquis la majorité de la planète, calerait-il en Europe ? Pas de raisons particulières. Créé en 1997 et introduit en bourse en mai 2002 à 15$ par action (NASDAQ: NFLX), Netflix est coté aujourd’hui à 450$ par action. Certes, la croissance de 3000% en 12 ans a un peu d’une bulle boursière. Compte tenu des perspectives des prochaines années, elle va ralentir et ceci pour plusieurs raisons.

D’une part, il y a des dépenses opérationnelles qui augmentent presque aussi rapidement que les revenus de la société face au développement international accéléré. D’autre part, l’Union Européenne a ses particularités par rapport au reste du monde. Par exemple, Netflix a pu se développer en Amérique Latine et dans les pays Scandinaves en mettant seulement des sous-titres dans les émissions et les films diffusés. En France et en Allemagne il est obligé d’assurer la traduction complète. Par ailleurs, la législation Française exige qu’une partie du contenu diffusé par la chaine soit produit en France. Ainsi, la chaine est en train de produire une série dramatique politique « Marseille », qui sera par la suite disponible à tous les abonnés de Netflix partout dans le monde.

Malgré toutes ses complications « européennes » la chaine est persuadée de pouvoir conquérir ce marché. Si cela est fait, plus rien ne l’arrêtera. Bientôt vous pourriez bien être converti à Netflix par vos enfants ou… par votre grand-mère.

Source d’image : https://www.netflix.com/?locale=fr-FR

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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