Recherche talent désespérément…

De plus en plus de personnes manifestent une appétence pour les diplômes de l’enseignement supérieur. D’une part, cette appétence a mené vers une inflation des diplômes. D’autre part nous voyons de plus en plus de personnes très qualifiées qui prennent un travail pour lequel elles sont surqualifiées. Sauf que les conséquences de la complexité du marché de l’emploi de haut niveau ne se limitent pas à cela.

Si vous avez la possibilité d’échanger avec les professionnels du recrutement de haut niveau, ils vous feront réfléchir à un autre phénomène de ces dernières années : des milliers, voire des dizaines de milliers de postes avec des conditions de travail alléchantes ne sont pas pourvus. Il est vrai que cela peut paraître très étonnant, sauf que de nombreuses explications de ce phénomène le rendent presque évident et banal.

En effet, face à la complexification de leurs métiers, les entreprises ont de plus en plus besoin de personnes dont le profil professionnel mélange un très haut niveau de compétences à une expertise dans des domaines très spécifiques et des expériences particulières. Bref, elles ont besoin d’un être dont les compétences et le vécu s’intègrent presque « sur mesure » dans le besoin spécifique complexe d’une entreprise, ou sont, au moins, transposables sur ce besoin spécifique.

Le plus souvent, il peut y avoir une dizaine de personnes avec le profil recherché sur toute la planète. La majeure partie du temps toutes ces personnes sont déjà bien occupées. En plus, elles n’ont pas forcément envie de changer d’entreprise, car, compte tenu de la rareté de leurs profils, elles choisissent généralement l’entreprise et le travail associé qui les intéressent réellement. Le plus frustrant pour les entreprises est qu’elles ont souvent besoin de ces profils spécifiques seulement pour quelques années, voire quelques mois : le temps de réaliser un projet, de créer un produit, etc.

Que font ces entreprises qui ne trouvent pas la perle rare pour ces postes en or ? Une partie d’entre elles abandonne des projets planifiés, des axes de développement attendus. Certaines mettent à ces postes des personnes qui ne conviennent qu’à moitié, en se contentant de résultats médiocres au lieu de la percée technologique ou financière attendue. Quelques entreprises vont ouvrir des filiales dans les endroits où les profils nécessaires pour leur futur développement peuvent être trouvés.

Il y a quelques années un géant d’Internet et des technologies a créé une entité opérationnelle dans une région finlandaise où l’université locale procure un certain type de formation technologique. Cette même entreprise a deux entités en Inde : l’une dans le sud, l’autre dans le nord. La raison est simple : les cultures du travail et les spécialisations de l’enseignement y sont différentes, et les deux sont importantes pour le développement des métiers de l’entreprise.

Entre 2006 et 2010 j’ai rencontré à plusieurs reprises un homme d’affaires britannique d’origine indienne qui a bien senti l’arrivée de cette pénurie des talents. Il a fondé une société qui proposait une offre globale aux entreprises de taille moyenne : créer pour elles des filiales un peu partout dans le monde. En plus de la création de l’infrastructure nécessaire à une filiale, le point particulièrement fort de son activité était la capacité de trouver des employés locaux avec des compétences spécifiques. Par la suite, il a vendu son entreprise à un géant mondial du brassage des ressources humaines, où cette activité nouvelle était intégrée dans le reste. Ainsi, je pense qu’il y a toujours ici une niche à fort potentiel pour créer un business

Les scientifiques sont arrivés à un constat simple : la culture et les conditions de vie d’un pays ou d’une région, conjuguées avec le système local d’éducation et l’environnement en général, favorisent le développement de tels ou tels talents, tels ou tels génies. Les spécialistes du cerveau et de l’évolution humaine parlent dans cette situation de l’évolution darwiniste très spécifique, connue sous le nom du tri ou « sorting » cérébral.

Les scientifiques soulignent le fait que la diversité des cerveaux des êtres humains est infinie. Par exemple, il y aurait plus de différence entre les cerveaux des deux êtres humains de la même famille que de différences apparentes entre un homme et une femme… Dans un monde idéal cela signifierait que, pour chaque poste qui n’est toujours pas pourvu, il existe au moins une personne avec le cerveau qui a été structuré exactement de la manière qui permettrait de mener la mission attendue vers les meilleurs résultats. Il est possible que les avancées technologiques permettant de trouver une telle personne ne soient pas si éloignées…

En attendant, la recherche des profils à fort potentiel et de haut niveau se fait déjà au niveau planétaire. L’associé de la filiale parisienne de l’un des grands cabinets de recrutement m’a expliqué qu’ils font des conférences téléphoniques régulières entre toutes les filiales à travers le monde pour satisfaire ce type de demandes de leurs clients.

Et les Français dans tout cela ? Une spécialiste d’un autre grand cabinet international de recrutement m’a confié un jour qu’un leader mondial de son domaine, Français d’origine, leur a demandé de trouver quelques profils à haut potentiel. Le but de cette sélection était d’intégrer les nouveaux arrivants dans le programme interne permettant d’accéder très rapidement aux postes de direction. L’une des conditions du client était : pas de Français, s’il vous plaît.

Pourquoi ? C’est une question légitime, qui peut être expliquée par son autre témoignage. Un autre géant mondial d’origine française a demandé à ce même cabinet de lui trouver une personne capable d’évoluer rapidement vers un poste de direction avec des responsabilités internationales. Après de longues recherches et une présélection, le cabinet a finalement retenu deux personnes : un Français basé à Lyon, dont le profil correspondait presque parfaitement au besoin de l’entreprise, et une Britannique, dont le profil correspondait un peu moins au poste et qui à l’époque des faits était basée, avec sa famille, quelque part en Amérique Latine.

Lors de discussions concernant l’entretien physique d’embauche qui devait se dérouler à Paris, le Français, qui ne travaillait pas et recherchait activement du travail, a demandé que son trajet Paris-Lyon soit payé par l’entreprise, que l’entretien ne soit pas fixé trop tôt ou trop tard, etc. À son tour, en répondant à la proposition de l’entretien, la candidate britannique a annoncé que dans quelques semaines elle comptait se rendre en Angleterre, et qu’elle pourrait faire un détour et passer par Paris le jour et à l’heure demandée par le recruteur. À votre avis, qui a eu le poste en or proposé par cette multinationale ?

 

Les opinions exprimées par les contributeurs de Vues & Revues leur sont propres et peuvent ne pas correspondre ceux de Vues & Revues.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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