Retraites : La vieillesse imposée ou la vieillesse choisie ?

Dans beaucoup de pays européens, et en France en particulier, les relations avec la retraite ne semblent pas correspondre aux réalités, aux opportunités, ou aux attentes du monde d’aujourd’hui et de demain. Cela se manifeste, entre autres, dans des débats autour de la durée de cotisations et de l’âge du départ à la retraite. On entend des propos du type : « Dans N années je vais partir à la retraite, et enfin je vais pouvoir faire ce que je veux/vivre la vraie vie, etc. »

Et pourtant, les générations actuelles vont vivre longtemps, très longtemps après avoir dépassé l’âge légal de départ à la retraite. Cela signifie qu’il faut repenser les objectifs de notre vie et les repositionner différemment dans la durée.

La vieillesse imposée

Imaginez une personne de 45 ans. C’est l’âge à partir duquel dans le monde professionnel on commence à associer le mot « sénior » avec tout ce qui vous concerne. « Vous êtes trop sénior pour accéder à ce poste. » « Vous êtes trop sénior pour être embauché. » En traduisant cela en langage plat, on vous dit que vous êtes vieux et inutile.

Or 45 ans c’est l’âge où vous vous sentez généralement en pleine forme. Vous êtes probablement dans la période la plus productive de votre carrière, vous vous sentez compétent dans ce que vous faites et vous avez mille projets pour l’avenir. Il est possible que vous ayez refondé une famille et refait des enfants. De nombreuses opportunités s’offrent à vous.

C’est exactement à ce moment-là que l’on vous place dans la case « sénior », qu’on vous parle de votre âge avancé et du peu de possibilités qui vous restent dans votre carrière et votre vie. Étrange, n’est-ce pas ? À quel moment cette tranche d’âge a-t-elle été définie comme le début de la « séniorité » ? Pour quelles raisons ? Je n’ai pas trouvé de réponse.

Lorsque l’on vous répète sans cesse que vous êtes vieux, et, probablement, inutile, vous commencez à y croire, petit à petit. Comme dans votre enfance lorsqu’on vous a traité de « nul », n’est-ce pas ? Vous abandonnez l’un après l’autre vos projets… Vous commencez à penser à vos problèmes de santé qui apparaissent tous d’un coup (vous en avez le droit – on vous a bien dit que vous êtes vieux !)… Et pourtant, une ou deux années auparavant vous n’auriez jamais imaginé que cette sensation de vieillesse vous arriverait aussi tôt et soudainement, car il n’y avait pas de raisons objectives à cela…

Il est vrai que les personnes ayant un certain niveau de vie, une certaine aisance matérielle, vivent plus longtemps. Sauf que le traitement sur l’air de « vous êtes vieux » à partir de 45 ans, touche tout le monde, quelle que soit votre tranche d’imposition. Ainsi, l’aisance matérielle ne peut pas pallier cette « vieillesse imposée ».

La vieillesse choisie ?

Je ne sais pas si c’est la communication systématique qui impose la « séniorité » à partir de l’âge de 45 ans, ou l’empressement de jouir d’un acquis, mais les Français parlent beaucoup de la retraite. Ils rêvent d’y être. Cette obsession française ne vient pas seulement d’une observation, elle est également confirmée par les statistiques.

Environs 77 % des Français âgés de 45 ans et plus souhaiteraient partir à la retraite dans les cinq années à venir. Seuls 19 % de ceux qui ont répondu au sondage déclarent qu’il est trop tôt pour eux pour partir, car ils ont encore beaucoup de choses à faire. C’est un fait assez triste. Il l’est d’autant plus que la proportion de Français ayant hâte de partir à la retraite est la plus élevée des pays développés. Pratiquement tous les pays du monde se trouvent loin derrière la France, avec 72 % pour les États-Unis ou 57 % pour Hong Kong, sans parler de pays comme l’EAU (29 %) ou l’Égypte (15 %).

Il semblerait que la retraite apparaît aux Français comme l’aspiration à quelque chose de meilleur, une sorte d’avenir « presque radieux », permettant d’échapper à la réalité et aux échecs de toutes sortes. Comme s’ils mettaient leur vie de côté pendant des décennies en se disant qu’après le départ à la retraite ils allaient, enfin, commencer à vivre.

La moitié des personnes couvertes par ces études avancent, pour expliquer leur volonté de partir à la retraite, la volonté de pouvoir voyager et de se consacrer à d’autres centres d’intérêt. En deuxième position est citée la « routine professionnelle » (34 %), suivie de près par le désir de passer plus de temps avec leur famille (33 %). Pourtant seules 2 % considèrent que le travail a un impact négatif sur leurs relations…

Le syndrome de la « voie sans issue » professionnelle touche 26 % des personnes interrogées, qui annoncent avoir « professionnellement accompli tout ce qu’ils pouvaient », complétés par 17 % qui ne sont plus satisfaits par leur carrière. Par ailleurs 25 % jugent que le travail nuit à leur santé physique et/ou morale.

Malgré ces beaux souhaits on n’échappe pas à la réalité. Si la majorité des Français est consciente du fait qu’à la retraite leurs revenus vont baisser et leur vie sociale va se réduire, ils ne pensent pas aux autres surprises désagréables. Au lieu de s’améliorer, leurs relations avec leur entourage se dégradent, suite à leur départ à la retraite. C’est le cas pour les relations avec leurs amis (12 %), leurs petits-enfants (3 %), leurs conjoints (8 %) ou leurs enfants (6 %). Par ailleurs, le nombre de divorces chez les personnes de 60 ans ou plus a doublé entre 2004 et 2014.

L’une des raisons de ces difficultés relationnelles est certainement liée au fait qu’avec le départ à la retraite on change considérablement son style de vie, ses habitudes. Vous vous retrouvez en tête à tête avec un conjoint que vous avez pris l’habitude de ne voir que brièvement le matin et le soir. Vous commencez à vouloir participer activement à la vie de vos enfants et de vos petits-enfants qui pendant des années avaient l’habitude de se débrouiller avec le minimum d’intervention de votre part…

Maintenant ajoutez à cela le fait que beaucoup trop de personnes se rendent compte qu’elles ne se sont pas réellement fixé d’objectifs pour les décennies de leur vie à la retraite, ou que ces objectifs se brisent en mille morceaux, une fois confrontés à la réalité. Alors, elles se retrouvent à la retraite sans toujours savoir que faire de leur vie et de toutes les expériences accumulées…

L’anticipation dans la mise à l’écart de la vie active pour les cadres supérieurs, dirigeants, au moment où ils sont au sommet de leur carrière réduit drastiquement leur durée de vie. Et pourtant, c’est le type de personnes qui pourraient rester productives, efficaces et utiles à la société pendant encore des décennies après l’âge légal de retraite. D’une manière générale, l’aspiration à l’excellence de certaines couches des élites perdure à tous les âges, il suffit de savoir utiliser à bon escient tout leur potentiel.

 

Les opinions exprimées par les contributeurs de Vues & Revues leur sont propres et peuvent ne pas correspondre ceux de Vues & Revues.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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