Les solutions digitalisées pour une carrière

On parle de plus en plus de solutions digitalisées qui serviront d’outil miracle permettant de trouver le candidat parfait pour chaque besoin d’une organisation. Sauf qu’en écoutant de nombreux représentants du métier du recrutement on a l’impression que la majorité d’entre eux se retrouve, a priori, dans le même système linéaire de pensée que celui d’une grande partie des dirigeants d’aujourd’hui.

Certes, les outils digitaux permettent de trouver rapidement dans une base de données contenant les profils des candidats, ceux qui possèdent telle ou telle compétence, qui connaissent tel ou tel domaine d’activité, telle ou telle zone géographique, telle ou telle entreprise. Se baser sur une approche aussi linéaire permet de trouver de bons candidats pour les postes allant jusqu’à un certain niveau de responsabilités. Mais cette approche linéaire ne permet pas de pourvoir ces postes de haut niveau jamais pourvus, où le moindre détail peut jouer un rôle crucial.

En juin 2016 le monde de toutes les parties prenantes du recrutement a été fortement agité par l’annonce du rachat par Microsoft du réseau professionnel LinkedIn. On annonçait le début d’une nouvelle ère du recrutement dans le sillage de la fusion du géant mondial du logiciel avec le premier réseau mondial professionnel, déclarant avoir 443 millions d’utilisateurs à travers le monde et 20 % de croissance annuelle.

Au premier regard cette acquisition qui suivait l’achat en 2014 de Yammer, un réseau social interne des entreprises, paraît être tout à fait logique. D’après les annonces de Satya Nadella, le PDG de Microsoft, LinkedIn deviendra la structure de réseau social à travers l’ensemble de l’univers Microsoft. Nous aurions pu imaginer que nous rentrions dans un Siècle d’or du recrutement, où les élites pourraient se réjouir : les professionnels de haut niveau cherchant un poste parfait pour appliquer leurs compétences, les dirigeants des entreprises cherchant des perles rares, les propriétaires d’entreprises aspirant au meilleur retour sur investissement, etc.

Je suis navrée de vous décevoir, mais l’avenir radieux et sans nuages pour votre parcours professionnel n’est pas arrivé. Commençons par les usages, sans rentrer dans les détails techniques. Microsoft a déclaré que l’intégration de LinkedIn avec Outlook, Skype et Office vous permettra, en cherchant un contact, non seulement de voir des informations dans Active Directory de votre entreprise, mais également d’accéder à la richesse de votre réseau professionnel. Sauf qu’Active Directory, le serveur Microsoft Exchange et même la suite Microsoft Office sont des outils utilisés essentiellement par les grandes entreprises. De plus en plus de petites et moyennes entreprises préfèrent les offres proposées par Google et autres sociétés ayant une politique de prix bien plus compétitive que celle de Microsoft. Ainsi, l’intégration technique globale permettant de bénéficier de la valeur ajoutée de LinkedIn concernera une population très limitée.

L’âge d’or de la liquidité parfaite du monde du recrutement n’arrivera pas demain pour des raisons réglementaires également. En mai 2018, le fameux Règlement général sur la protection des données (GDPR) entrera en vigueur. Il impose des règles très strictes qui exigent votre accord explicite pour toute utilisation de vos données personnelles avec l’obligation de fournir à la demande la description de tous les traitements subis par ces données. Il limite considérablement les entreprises dans le stockage, l’utilisation et le partage des données personnelles de leurs clients. Il généralise, également le « droit à l’oubli » des clients et vous offre la possibilité de refuser tout traitement automatisé de vos données. Ainsi, la possibilité « en cherchant un contact, non seulement (de) voir des informations dans Active Directory de votre entreprise, mais également (d’)accéder à la richesse de votre réseau professionnel » ne sera pas réalisable pour des raisons réglementaires.

Toute entreprise en infraction de ce nouveau Règlement européen sera soumise à une amende. En ce qui concerne le montant de cette dernière, le législateur choisira le montant maximal entre 20 millions d’euros et 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise fautive. Il me semble qu’aucune ne voudra s’infliger cette amende juste pour avoir l’intégration complète de LinkedIn…

Une autre raison pour laquelle la liquidité du marché du recrutement n’arrivera pas demain est liée au fait banal que de nombreuses personnes tâchent d’embellir leur profil LinkedIn en y ajoutant des informations qui ne correspondent pas tout à fait à la réalité. La plupart du temps, la vérification de telles informations est une affaire extrêmement complexe, coûteuse et délicate.

Par ailleurs, de plus en plus de personnes essayent de faire face à l’invasion des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple ) et leurs collègues dans l’espace privé, en limitant les informations qu’elles partagent sur les réseaux sociaux. Cela signifie qu’elles réduisent les informations professionnelles divulguées au strict minimum, ne permettant pas de cerner réellement leur profil professionnel exact.

En outre, plusieurs véritables diamants du monde professionnel, pour lesquels de nombreuses entreprises auraient été prêtes à mobiliser des moyens très conséquents, sont complètement absents des réseaux sociaux. Ils considèrent être suffisamment connus dans leur milieu pour avoir des offres intéressantes et souhaitent éviter des sollicitations qu’ils peuvent considérer comme abusives…

Au cours des dernières décennies, il est devenu très populaire et très commun de modéliser tout ce qui nous entoure. Ceci est une démarche scientifique tout à fait normale si elle n’est pas poussée à outrance (ce qui était l’une des causes de la crise financière de 2008). Car aucun modèle couplé avec aucune puissance des machines ne pourra jamais modéliser parfaitement toute la réalité de notre monde. Fort heureusement, d’ailleurs.

Les modèles sont utiles lorsque nous comprenons leurs limites. Même si les auteurs de certains ont reçu des distinctions de haut niveau, très prestigieuses, aucun modèle ne sera jamais tout à fait exact. Je ne manque jamais l’occasion de tester ces propos, qui étaient confirmés lors d’une discussion que j’ai eue en 2015 avec Lars Peter Hansen, le Prix Nobel de Sciences Économiques en 2013.

Sans entrer dans les détails scientifiques de notre débat, j’avoue que nous sommes arrivés à des conclusions similaires, chacun dans son domaine d’activité, en testant plusieurs dizaines et en analysant plusieurs centaines de modèles qui décrivent des phénomènes économiques, financiers, physiques ou sociétaux. Des modèles très complexes, très sophistiqués, prétendant résoudre tout cas générique, sont moins efficaces dans leur prédiction de la réalité que des modèles décrivant des cas spécifiques, conçus d’une manière assez simple, avec peu d’équations mathématiques, mais avec quelques hypothèses humaines. Ce type de modèle nécessitant une intervention et une réflexion humaine va mieux prédire chaque cas particulier qu’un modèle sophistiqué épaulé par une puissance vertigineuse de calcul d’ordinateurs.

Ces conclusions nous amènent au problème majeur du monde d’aujourd’hui. Avec le temps, les ordinateurs deviennent de plus en plus puissants et permettent le traitement de données de plus en plus volumineuses avec des modèles de plus en plus sophistiqués et de moins en moins d’intervention humaine. De ce fait, par paresse, par inertie ou par inadvertance nous avons de plus en plus tendance à « faire confiance » à tout ce que ces machines nous disent.

Toutefois, lors du traitement de grands volumes de données avec beaucoup d’itérations, la moindre erreur quantitative ou la moindre faille dans les hypothèses ou la logique des algorithmes de calcul peuvent s’amplifier considérablement et mener à des conséquences imprévisibles. De ce fait, le manque d’analyse humaine par rapport au volume global de tout ce qui est confié aux machines va nous amener vers les phénomènes de « cygnes noirs » d’une amplitude de plus en plus importante. Les œuvres de science-fiction sont un doux songe d’été par rapport à ce que l’humanité peut réellement s’infliger. Mais comment prévenir les désastres dans une situation où leur compréhension demande un niveau de plus en plus élevé et large d’éducation, alors qu’aujourd’hui nous pouvons plutôt évoquer l’érosion du niveau du système d’éducation ?

La réponse entièrement digitalisée n’existera certainement jamais dans un processus de recrutement intelligent du haut niveau. Les professionnels et les candidats peuvent s’en réjouir… ou pas ?

 

Les opinions exprimées par les contributeurs de Vues & Revues leur sont propres et peuvent ne pas correspondre ceux de Vues & Revues.

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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