Tendances du développement numérique du système financier mondial

Introduction

Avant de vous donner l’opportunité de prendre connaissance de l’article qui a attiré mon attention, permettez-moi une certaine introduction, expliquant pourquoi précisément cet article.

Premièrement, la mention de cette publication a été faite par une personne devant l’autorité de laquelle, dans ce domaine, je ne peux que m’incliner. Ayant été entendue dans le contexte de la réunion d’une association professionnelle où régnait la Règle de Chatham House, l’information concernant la source restera anonyme.

Deuxièmement, l’auteur de cet article est une personne hors du commun. Issu d’une famille aristocratique du nord de l’Italie, Lorenzo BINI SMAGHI a étudié l’économie à la prestigieuse Université Catholique de Louvain en Belgique, puis a obtenu un master dans l’également prestigieuse University of Southern California et a soutenu une thèse en économie à l’Université de Chicago. Après ses études, il a travaillé à la Banque Centrale d’Italie, a occupé des postes élevés au Ministère italien des Finances, puis à la Banque Centrale Européenne, et a été sherpa pour le G7 et le G20. En 2015, il est devenu le premier Président non-français du Conseil d’Administration de la Société Générale.

Et la troisième raison de mon intérêt pour cet article réside dans l’importance des thèmes abordés. Il est évident qu’il délimite clairement les nouvelles tendances mondiales, qui vont bien au-delà de simples changements du système financier.

« Géopolitique des stablecoins

Pourquoi la souveraineté monétaire européenne est en danger

LORENZO BINI SMAGHI

14 JUILLET 2025

Voici la version française de l’article publié en anglais sur le site de l’auteur. Une première version de cet article a été publiée dans le quotidien italien Il Foglio.

Le système financier européen, à commencer par ses banques, ne peut pas toujours attendre que les autorités publiques mènent l’innovation. La crainte que les stablecoins ne « mangent » à court terme les services les plus rentables ne peut l’emporter sur les avantages pour les clients, surtout si l’Europe veut que ces clients lui restent fidèles.

L’épargne accumulée en Europe est à nouveau source d’inquiétude. Un an après la publication des rapports Draghi et Letta – qui soulignaient tous deux comment l’absence d’un marché financier européen plus intégré finit par bénéficier à l’économie américaine au détriment de l’Europe – la situation, si elle a changé, n’a fait qu’empirer.

Non seulement diverses autorités européennes ont érigé des barrières supplémentaires sur la voie de la création d’un véritable marché des capitaux, notamment en bloquant l’émergence d’institutions bancaires d’importance systémique, mais l’Europe ne prend pas conscience du tsunami qui s’approche d’elle depuis l’autre rive de l’Atlantique. L’initiative législative GENIUS récemment adoptée par l’administration Trump vise à promouvoir l’utilisation du dollar via la technologie blockchain, sapant directement la position des autres devises.

Si l’Europe ne réagit pas rapidement, les conséquences pour sa souveraineté monétaire pourraient être graves.

Il y a trois réalités clés auxquelles les décideurs politiques européens doivent faire face.

Premièrement : Nous sommes au cœur d’une révolution technologique qui pourrait potentiellement bouleverser les systèmes antérieurs. Le scepticisme initial est compréhensible. Pour ceux qui sont habitués aux systèmes monétaires centralisés – où les paiements ne sont définitivement exécutés qu’après une série d’opérations effectuées via des institutions privées et publiques dans le cas d’un virement bancaire – il n’est pas facile d’accepter qu’un système décentralisé basé sur la blockchain permette de régler les transactions quasiment en temps réel.

Les stablecoins – contrairement aux cryptomonnaies volatiles comme le bitcoin – permettent d’effectuer des paiements 24h/24, peu coûteux, à des contreparties dans le monde entier, de payer des factures, d’acheter des instruments financiers ou d’envoyer des transferts d’argent. Tout ce qu’il faut, c’est un portefeuille numérique compatible avec les blockchains les plus courantes, qui deviennent elles-mêmes de plus en plus interconnectées. Chaque portefeuille a un identifiant public – une sorte d’IBAN numérique – que les contreparties peuvent utiliser pour finaliser les transactions en temps réel.

Les portefeuilles sont approvisionnés en stablecoins achetés via un simple virement bancaire, puis utilisés pour les paiements. Ces transactions sont chiffrées, ce qui assure la confidentialité, mais elles peuvent être tracées par les autorités si nécessaire, par exemple pour lutter contre le blanchiment d’argent.

Deuxièmement : La prolifération des stablecoins crée des défis, dont certains sont déjà identifiés par les autorités monétaires. Le principal d’entre eux est la garantie de la valeur du stablecoin. En principe, la stabilité est garantie par des réserves à 100 % détenues par l’émetteur, similairement au concept de « banque étroite » (narrow banking). La réglementation limite la composition des réserves à des instruments très liquides et encadre les conditions de leur retrait.

Mais le risque que les émetteurs ne respectent pas les règles ne peut être totalement exclu, surtout s’ils sont enregistrés dans des juridictions au contrôle laxiste. La solution est de placer les émetteurs de stablecoins sous la supervision des autorités monétaires de leur pays d’émission – c’est-à-dire des États-Unis, dans le cas des stablecoins libellés en dollars.

Bien que la réglementation américaine actuelle ne l’exige pas encore, cela sera une évolution naturelle du marché. Il est notable que l’un des émetteurs les plus connus, Circle, dont la valorisation est récemment passée de 6 à 50 milliards de dollars en quelques jours, a déposé une demande pour obtenir une licence bancaire américaine. Il se positionne déjà comme le plus grand émetteur régulé de stablecoins.

Troisièmement : Cette technologie arrive en Europe – plus encore, elle y est déjà, même si elle se diffuse plus lentement qu’aux États-Unis. Si les stablecoins ne sont émis que par des organismes américains et uniquement en dollars, ils seront inévitablement utilisés par les entreprises et les citoyens européens. On ne peut pas l’empêcher.

Le résultat serait un exode massif du continent des dépôts bancaires, utilisés pour financer les titres du Trésor américain qui sont détenus en réserves par les émetteurs de stablecoins.

En bref, tenter d’arrêter la propagation de cette technologie est non seulement inutile, mais aussi nocif.

La leçon pour l’Europe est claire : elle doit prendre l’initiative d’adopter ces nouvelles technologies.

Heureusement, l’UE a mis en place une solide base réglementaire – à savoir le règlement MiCA – qui permet aux acteurs européens d’émettre des stablecoins libellés en euros, avec une protection fiable des consommateurs, notamment en ce qui concerne la composition des réserves et la supervision réglementaire.

Il appartient maintenant aux autorités monétaires, et surtout à la BCE, de surmonter les réticences initiales et d’encourager l’émission de stablecoins en euros, qui pourraient circuler dans le monde entier et rivaliser avec leurs équivalents en dollars.

Malheureusement, la monnaie numérique de banque centrale – le soi-disant euro numérique, attendu pour 2028 – n’est pas une alternative réelle. Ses technologies ne peuvent tout simplement pas rivaliser avec la blockchain en termes de coût, de polyvalence, de portée et de vitesse. De plus, on ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que la BCE se transforme en une société de développement de logiciels.

Le système financier européen – à commencer par ses banques – ne peut pas toujours attendre que les autorités publiques montrent la voie en matière d’innovation. On ne peut pas laisser la crainte que les stablecoins ne « mangent » les services les plus rentables à court terme l’emporter sur les avantages que cette technologie apporte aux clients, surtout si l’Europe veut garder ces clients.

Sans une réponse européenne rapide et compétitive à l’initiative américaine, le système financier européen risque de devenir une colonie encore plus grande qu’elle ne l’est déjà. »

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Edouard DE BERLEAU

Édouard DE BERLEAU est un expert du domaine de la finance et tous les sujets connexes. Il a travaillé dans des grandes institutions et...

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