Moyen Orient – Le regard d’un diplomate

« Le hasard avait voulu que ma carrière commençât dans les années 1980 au Moyen-Orient et j’y trouvais le champ idéal de mes réflexions. En effet, une rhétorique omniprésente de l’unanimité et de la solidarité des États de la région au nom de l’arabisme face à Israël paraissait faire de l’ordre régional un face-à-face intangible entre un monde arabe mobilisé autour de l’ardente obligation de libération de la Palestine et l’État juif. C’était, en tout cas, ce que paraissait croire le Quai d’Orsay. Or, selon moi, la réalité était tout autre.

Le Moyen-Orient offrait le spectacle quasiment permanent des retournements d’alliances entre des États dont, à l’évidence, Israël n’était pas la principale préoccupation. Ce n’était ni hypocrisie ni inconstance mais la recherche par les États d’un équilibre régional comme garantie de leur sécurité dans un contexte de frontières souvent récentes et d’existences nationales incertaines. Les sommets pouvaient se succéder pour appeler à la lutte contre Israël mais, dans les faits, ces incantations dissimulaient mal un monde de fer où des pays n’avaient qu’une obsession : leur sécurité face à leurs voisins, tout aussi arabes qu’eux.

Depuis quinze siècles, Le Caire, Damas et Bagdad se disputaient la prééminence régionale ; ils continuaient à le faire, qu’Israël existait ou pas. C’était là la réalité qu’il fallait prendre en compte et non des discours qui dissimulaient plus qu’ils ne révélaient. La recherche d’un équilibre des puissances au Moyen-Orient comme garantie de la paix était infiniment plus importante qu’une hypothétique solidarité avec des organisations palestiniennes que chaque État arabe essayait d’ailleurs de contrôler pour ses propres objectifs nationaux. « L’ennemie de mon ennemie est mon ami » semblait résumer la politique étrangère dans cette partie du monde. C’en était presque mathématique.

Le jeune diplomate que j’étais ne comprenait pas que ses propres autorités semblent prendre au mot les intentions des acteurs de la région au lieu de tenir compte de leurs actes qui les contredisaient et confèrent donc à la question palestinienne une centralité que ceux-ci démentaient. Le rapprochement récent entre Israël et les monarchies de Golfe a d’ailleurs confirmé mes analyses. Oublié l’arabisme, oubliée la Palestine, oublié l’Islam, il reste une réalité beaucoup plus puissante que l’idéologie ou que la religion : la peur, en l’occurrence la peur de l’Iran. »

Gérard ARAUD – « Henri Kissinger – le diplomate du siècle » – 2021

Exprimez-vous : Avons-nous détecté une tendance ?

De point de vue économique - 0%
De point de vue technologique - 0%
De point de vue sociétal - 0%

Total

0%
Partager sur :

Laisser un commentaire

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.