Profils : Myron SCHOLES

D’après les acteurs majeurs du monde de la finance, au cours des prochains mois nous allons souvent observer un comportement des marchés similaire à celui de mi-octobre. Ce contexte me fait repenser à Myron SCHOLES qui, lorsque je l’avais rencontré au début 2008, était parmi les rares à donner l’avertissement sur l’éventualité de la prochaine crise financière.

Myron SCHOLES est surtout connu grâce à ses travaux sur le modèle de Black-Scholes-Merton utilisé dans la définition des prix des produits dérivés, pour lesquels il a reçu le Prix Nobel en Economie en 1997. Surfant sur la vague de son succès académique des années 1990, il a co-créé à cette époque le fond d’investissement alternatif Long-Term Capital Management qui a fait faillite en 1998 suite à la crise financière en Russie.

La défaillance fulgurante de ce fond risquait de contaminer une partie significative des bourses mondiales. Ainsi la Réserve Fédérale américaine a procédé à son sauvetage qui, avoisinant 4 milliards de dollars, s’avérait être le plus important de l’histoire précédant la crise financière de 2008.

Suite à cette faillite Merrill Lynch remarquait dans son rapport annuel de 1998 que les modèles mathématiques faisant la simulation des risques “peuvent fournir un plus grand sentiment de sécurité que celle de la réalité, donc, le recours à ces modèles devrait être limité ». Toutefois, comme l’a bien démontré la crise financière du 2008, personne n’a intégré cette remarque dans ses actions quotidiennes, y compris Merrill Lynch. La quête du Graal des gains illimités était trop tentante.

Myron SCHOLES a été le rare associé du LTCM qui a su réellement rebondir après sa faillite. Rappelons qu’un autre économiste renommé, John Maynard KEYNES, a produit les meilleurs de ses travaux après avoir fait faillite sur les marchés financiers dans les années 1920s.

En 1999 Myron SCHOLES a partagé ses conclusions liées à la gestion du LTCM lors d’une conférence organisée par The Economist. D’après lui, le risque largement négligé par les économistes, et celui qui devient les plus impactant en période des crises, réside dans la gestion de l’offre et de la demande de liquidités sur les marchés financiers. Cela provient du fait que lors des fortes perturbations des marchés la liquidité se tarit en menaçant le système financier tout entier.

Depuis, Myron SCHOLES a consacré beaucoup de temps et d’énergie à la recherche économique dans le domaine de gestion des risques et l’intermédiation de liquidité sur les marchés. Cette recherche a abouti à quelques propositions innovantes pour le monde de la finance faites lors de l’une de ses interventions publiques en 2003.

La finance, comme beaucoup d’autres domaines d’activité, est régie par plusieurs postulats qui ont du mal à suivre l’évolution des connaissances du monde actuel. Ainsi, Myron SCHOLES a proposé de revoir la différenciation entre les risques spécifiques et les risques systémiques. Tous ceux qui ont étudié la théorie du portefeuille savent les distinguer.

Le risque spécifique, particulier à une activité ou une entreprise (exemple : le risque qu’un meunier n’ait pas préparé assez de farine face à la demande exceptionnelle d’un boulanger) peut potentiellement être éliminé grâce à la diversification (le boulanger peut travailler avec plusieurs meuniers). Ainsi, la théorie du portefeuille stipule qu’en diversifiant vos placements vous pouvez éliminer les risques liés à chaque placement individuel. Le risque systémique (ou le risque agrégé, non-diversifiable) représente la vulnérabilité liée à l’économie dans sa totalité (la sécheresse a augmenté considérablement les prix du blé et tous les meuniers n’ont pas assez de moyens pour acheter la quantité de blé nécessaire pour satisfaire la demande en farine du boulanger).

La théorie du portefeuille dit que vous ne rémunérez pas les acteurs du marché qui assument le risque particulier, vous payez une prime uniquement pour diversifier votre risque systémique. Or, d’après Myron SCHOLES, en période de crise le risque spécifique se transforme en risque systémique, car les prix des actifs habituellement décorrélés, commencent à évoluer dans la même direction (ce qui s’est passé pendant la crise financière du 2008).

Une organisation ne peut pas transférer son risque spécifique sur le marché, car si elle transfère et diversifie tout, en essayant de se débarrasser de ce risque, elle ne sera plus en mesure de faire de l’argent. Cela signifie, d’une part, que toute société, qu’elle soit un meunier ou un gestionnaire de portefeuille,  génère ses revenus en intégrant un certain taux de risque dans son business model. D’autre part, cela signifie que le business avec « zéro risque » n’existe pas, que cela soit une usine ou un fond d’investissement.

Toutefois, il peut être intéressant et peu coûteux de transférer une partie de risque systémique (comme fluctuation des taux de change), sur les marchés. Donc, certaines sociétés qui ont les horizons d’investissement à long-terme, comme assureurs, fonds alternatifs d’investissement ou fonds de pensions, peuvent gagner de l’argent en assumant le risque de manque de liquidité, car les porteurs de risque sont prêts à payer pour le transférer ailleurs.

L’une des autres propositions innovantes de Myron SCHOLES consiste dans l’idée que les personnes responsables de l’allocation des actifs et de la gestion des risques devraient penser à l’optimisation des risques et non pas à leur minimisation. Je considère que cela pourrait ressembler à l’idée de l’antifragilité. En ce qui concerne la minimisation des risques, c’est ce qui est précisément visé par les réglementations de plus en plus nombreuses des dernières années. Il semblerait qu’elles apportent surtout une lourdeur administrative et structurelle.

Dans son intervention à Eurobank EFG en août 2008, Myron SCHOLES a souligné que l’un des éléments clés de l’évolution de la finance des dernières années est la personnalisation des services bancaires et financiers, notamment grâce aux nouveaux instruments financiers. Toutefois, cette évolution est vouée à la stagnation car les règlementations du type Bâle qui ont été sensées gérer les risques crédit, utilisent un système erroné de gestion de ces risques. Par ailleurs, les infrastructures du monde bancaire et financier ne suivent pas l’innovation. Elles sont à l’origine de la prise des mauvaises décisions managériales, des systèmes de motivations erronées, des modèles et des données incomplètes.

D’après Myron SCHOLES, la tendance des dernières décennies de compter uniquement sur les Banques Centrales pour faire fonctionner le monde économique n’est pas justifiée. Ces institutions ont un seul outil majeur à leur disposition : le taux directeur. Or, il est très difficile d’utiliser un seul outil pour accomplir toutes les cinq fonctions des Banques Centrales qui sont, d’après lui :

  1. Cibler l’inflation ;
  2. Supporter la croissance économique ;
  3. Gérer le taux de change ;
  4. Empêcher la formation des bulles d’actifs ;
  5. Empêcher la faillite du système financier
    1. En traitant les questions d’aléa moral
    2. En jouant le rôle du préteur de dernier ressort,

tout en sachant que chacun de ces rôles interagit avec les autres et produit des réactions non-linéaires.

En 2010 Myron SCHOLES remarquait que nous ne connaissons pas le niveau de risque du monde dans lequel nous vivons. Au cours des années précédant la crise de 2008, tout le monde avait l’impression que le risque avait été réduit d’une manière permanente et que toutes les activités économiques étaient sous contrôle ; qu’il n’y aura plus de récessions, plus de secousses économiques et financières. Les produits dérivés donnaient l’illusion d’avoir éliminé les risques des marchés financiers, les banques centrales donnaient l’impression de maitriser les taux directeurs et l’état global de l’économie. Alan Greenspan était parmi ceux qui proclamaient que « les fondamentaux économiques sont désormais solides ». Toutefois, nous ne connaissons pas le niveau de volatilité de l’économie, ce qui peut générer des problèmes potentiels. Quand les investisseurs considèrent que la volatilité est insignifiante, ils prennent plus de risques. Lorsque la volatilité est basse, la valeur de la flexibilité est basse. Les gens achètent des grandes maisons, ils épargnent moins, ils considèrent que les prix de leurs maisons vont toujours croitre. Ils pensent que leur capital humain est en sécurité, ils contractent des dettes…

La question qui se pose alors : est-ce que nous allons réussir à construire des systèmes d’alarme qui vont fournir une meilleure vision du vrai état des risques dans l’économie ? La réponse n’est pas aisée: le monde dans lequel nous vivons est très-très complexe. Il est extrêmement difficile de trouver des moyens permettant de digérer toute l’information qui nous entoure et d’arriver à la bonne conclusion.

Dans l’un de ses derniers travaux Myron SCHOLES s’est penché sur la problématique de gestion efficace des actifs, et de réduction des impacts de sa délégation aux tiers (« principal-agent problem »), ainsi que la gestion des risques associés. Il déduit, notamment, qu’un manager des actifs doit détenir deux portefeuilles:

  • L’un qui inclut les actifs risqués (portefeuille “alpha”) pour avoir un certain niveau de liquidité,
  • L’autre permettant la gestion des risques (hedging portfolio) à travers le suivi de la marge des erreurs par rapport aux erreurs acceptables (« tracking-error constraints»).

Cette approche, par ailleurs, permet d’équilibrer et de limiter l’utilisation de l’effet de levier par les gestionnaires des actifs.

A l’âge de 73 ans ce personnage continue de donner de la matière pour réfléchir…

 

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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